Une épreuve, des questionnements, peu de réponses
Les trois sœurs du Yunnan pose mille questions. La première est personnelle : toi, occidental plus ou moins aisé, pourquoi passes-tu 2h30 dans un cinéma à regarder la vie de trois sœurs crasseuses dans un village chinois perdu à plus de 3000 mètres d'altitude ? Cette question est sans réponse.
De fait, le film de Wang Bing n'est pas confortable. Le père est parti chercher du travail ailleurs. la mère n'est plus là. Les trois sœurs, 4 ans, 6 ans et 10 ans vivent plus ou moins seules sous la coupe de l'aînée. La famille est dans le village, un grand-père, une tante, des cousins. Les gamines sont très sales. L'hygiène est inexistante, le confort absent. Il faut travailler, aider à nourrir les bêtes, aller et venir en tâches répétitives. Le repas est au cœur de tout, l'essentiel est là. Au moins ne meurt-on pas de faim. L'aînée va un peu à l'école quand le père revenu emmène les deux petites avec lui.
On ne comprend pas cette crasse. Les adultes qui gravitent autour des filles ne semblent pas si sales, les autres enfants non plus. Pourquoi cette crasse ? Est-elle signe de la mise à l'écart de ces trois filles sans mère ? On apprend dans une interview de Wang Bing que la mère était en conflit ouvert avec la famille parce qu'elle n'avait pas eu de fils. La clé [non donnée dans le film] est-elle là ?
Le sentiment de familiarité se mêle à celui d'étrangeté. Ces trois gamines nous sont familières parce que ce sont trois enfants, même l'aînée qui prend une place d'adulte. Les enfants sont les mêmes partout. La travail rural, on le connaît aussi, même si celui qu'on a pu côtoyer n'est pas aussi rudimentaire. Ce qui nous est totalement étranger, c'est l'incroyable isolement du village, et en son sein celui des trois sœurs. On est surpris, presque choqué, quand on découvre une télévision allumée. Oui, on est ici à la même époque que nous.
Sans aller jusqu'à la philosophie de comptoir, on en vient à se poser la question du sens de la vie. Quel est-il pour ces gamines ? Quel avenir leur est-il réservé ? Dans quel monde ? On est loin de l'essor économique de l'Empire du Milieu... Mais les trois sœurs seraient-elles mieux dans une usine Apple ?
Le film est long, trop long. Notre attention décroche. On est pourtant là au cœur de la vie, là oui, mais confortablement assis dans notre fauteuil rouge. Quelques regards caméra nous rappellent que Yingying, Zhenzhen et Fenfen ne sont pas dupes. Mais de quoi ?