Avant de parler du film, quelques mots quand même pour encenser le travail réalisé par Le Chat qui fume qui l’a réédité. Il s’agit d’un véritable travail d’orfèvre qui laisse bouche bée. L’image est une dinguerie absolue qui a su trouver l’équilibre parfait entre les couleurs, le piqué et les contrastes. Le son est d’une pureté incroyable, entièrement dépourvu du moindre souffle aussi bien dans les dialogues, la musique que les différents effets sonores. Pourquoi débuter par ces précisions sur cette remarquable édition ? Parce que le travail de Mario Bava sur ce film est une telle ode sensorielle qu’il est d’autant plus appréciable dans ces conditions. Jeux de lumière incessants, jeux sonores, jeux de cadrage : ce triptyque est une orgie complète.
Construit en trois temps, comme son titre l’indique, le résultat est au carrefour de l’histoire du film d’épouvante. Le premier annonce les figures de style du giallo (lumières, téléphone, vois menaçante et étouffée, érotisme latent, jeu de dupe). À découvrir aujourd’hui, les thèmes abordés semblent éculés. C’est logique, nous sommes en présence d’un des patients zéros du genre. Le deuxième segment est un sommet du gothique qui reprend les codes des films de la Universal (et même sa star Boris Karloff) et de ceux de la Hammer dans un style encore plus baroque qui annonce celui d’un Tim Burton. Le dernier récit, sorte de variation sur une nouvelle d’Edgar Allan Poe, évoque la terreur des films de l’époque. Le tout est composé sous forme de films à sketches, genre alors pas à la mode dans le fantastique et qui deviendra la marque de fabrique de la Amicus à la fin des années 60 et qui fit d’autres émules dans les années 80 avec Creepshow ou Les Contes de la crypte. C’est dire si le film de Mario Bava marque une date dans le cinéma fantastique. À la fois synthèse de son temps et précurseur d’autres œuvres, l’ensemble tient une tient importance dans l’histoire du cinéma d’épouvante.
Le résultat peut s’apprécier de différentes façons. De toute évidence, au-delà des récits, chaque segment est un exercice de style. Le premier, Le Téléphone, plutôt avant-gardiste lors de la sortie du film, est certainement le plus faible, la faute à une intrigue convenue et au final attendu. Le côté subversif du lien entretenu entre les deux femmes reste cependant un point fort. Formellement, les éclairages également sont de toute beauté. Le deuxième, Le Wurdulak, est, à mon sens, le plus réussi. Avec son esthétique furieusement baroque, cette banale histoire de vampire est une réussite totale avec des envolées visuelles superbes et des idées vraiment inquiétantes (l’enfant devenu à son tour vampire qui hante la nuit la maison en frappant à la porte et en hurlant qu’il a froid). Le dernier, La Goutte d’eau, ressemble à un cauchemar. Ce très court récit aux confins de la folie conclut parfaitement l’ensemble.
Tout n’est pas parfait dans cet ensemble mais la réalisation de Mario Bava est un tel ravissement qu’il est difficile de ne pas prendre conscience à sa vision qu’on a, sous les yeux, un objet important dans l’histoire du cinéma fantastique.