Il suffit parfois d'un bide pour que l'on vous oublie, bien que vous ayez attiré des millions de spectateurs à travers le monde. Jacques Tati fut dans ce cas après Playtime (1967) et il faudra attendre plusieurs décennies avant que son travail ne soit remis en lumière et surtout restauré. D'autant plus que l'artiste était du genre à faire plusieurs montages de ses films au fil du temps (parfois malgré lui) ou à utiliser différents formats (la palme à Parade qui utilise de la vidéo bande deux pouces, du 16mm, du 35mm et du Super 16). Jacques Tati a marqué le cinéma et son impact s'est fait notamment grâce à son personnage phare, Monsieur Hulot.
Une sorte de double un peu gauche confronté à un monde qu'il ne comprend pas, le méprise ou les deux ; et que l'on reconnaît à sa pipe, son chapeau et parfois à son manteau. Ses aventures débutent avec Les vacances de Monsieur Hulot, film qu'il réalise quelques années après son premier succès, Jour de fête (1949). Après avoir réuni 6,8 millions de spectateurs, Tati se voit proposer de continuer l'histoire du Facteur, ce qu'il refuse. Il préfère se lancer aux côtés d'Henri Marquet et Jacques Lagrange (deux de ses plus fidèles collaborateurs) dans la création de ce gentil monsieur qui ne demande rien à personne, mais que tout le monde regarde d'un drôle d'air.
N'ayant pas assez de budget, Tati ne tourne pas en couleur et pose ses bagages à Saint-Marc-sur-Mer. Bien que parlant, les dialogues des Vacances de Monsieur Hulot sont rares, peu audibles ou utiles à la compréhension, à commencer par le héros qui sera très peu causant aussi bien ici que dans les films suivants. Ce qui renvoie inévitablement aux figures du muet qu'étaient Max Linder, Charlie Chaplin ou Buster Keaton (qui aimait beaucoup Tati d'ailleurs).
D'autant qu'Hulot est un nid à gags par excellence, souvent sans le faire exprès. Ainsi, difficile de ne pas rire devant le passage du canoë (le film sera agrémenté en 1978 d'un passage parodiant Jaws qu'avait beaucoup aimé le réalisateur), celui des feux d'artifices (anticipant le bordel généré par Jean Gabin et Jean-Paul Belmondo dans Un singe en hiver) ou son arrivée remarquée. Sans compter la Hulot mobile qui n'est pas sans anticiper celle de Gaston Lagaffe. Toutefois le meilleur gag du film n'est pas avec Tati. On dit souvent que les gags les plus simples sont les meilleurs. Comment ne pas citer ce savoureux passage où le maître d'hôtel (Lucien Frégis) remonte sa manche pour mettre la main dans un aquarium, met l'autre main, avant de s'apercevoir de sa connerie avec un air désespéré ?
Le film est rythmé par Hulot, mais aussi d'autres personnages souvent plus gaffeurs qu'ils ne le pensent, un peu trop méprisants, d'autres plus compréhensifs et des enfants. On ressent la joie des vacances, mais aussi l'amertume de voir que cela n'a duré que quelques jours. Les vacances de Monsieur Hulot sera un immense succès (5 millions d'entrées), possédant trois montages différents (l'original, celui de 1963 où il a coupé un peu dans le film et changé la musique et celui de 1978 avec le rajout), ce qui permettra à son réalisateur de signer Mon oncle (1958).