Pour cette troisième plongée dans l'univers de ce cher Tati, je peux dire que l'eau est bonne, et que quiconque veut s'y baigner y trouvera son compte. La fraîcheur est toujours présente, le film dégage une bonhomie charmante, une espèce de sympathie inhérente, et ce pour plusieurs raisons à mon avis. D'abord, parce que les gags, même s'ils n'invitent pas à rire aux éclats, dégagent toujours une sincérité parlante, le burlesque est gentillet et fait bien souvent sourire.


Et si l'ensemble du film ressemble à une fresque, chaque plan est une peinture orchestrée minutieusement, bourdonnante de vie(s) dans laquelle chaque figurant n'en est pas un, ayant à chaque instant une importance particulière et singulière. La musique, bien que récurrente et parfois redondante, il faut bien l'admettre, est toujours utilisée intelligemment et est significative : celle qui innerve le film est calme, reposante mais rythmée, tandis que celle qu'écoute Hulot, assis, calme et serein en fumant son éternelle pipe, est légèrement plus entraînante, disons (à partir de 8mn dans la vidéo). La romance est également présente, même si plus légère que dans Playtime, et toujours avec une pointe de poésie touchante.


Mais le véritable intérêt pour moi réside dans le personnage de Hulot et son rapport au monde. Si dans Playtime et Mon Oncle il sera en décalage avec le monde moderne ou la famille, il est ici en décalage sur le plan social, sur le plan de son rapport au monde en général. Je ne parvenais pas à comprendre ce qui différenciait réellement ces gens condescendants, vivant à la fois dans la modernité (les vacances au bord de la mer en étant à l'époque un signe) et dans une tradition ridicule (la redondance des saluts appuyés à chaque fois que chacun se croise le montre efficacement), d'un grand dégingandé fumeur de pipe et amateur de musiques endiablées ? Et pourquoi non d'un Bretzel à la fin les deux seuls à le considérer sont cette vieille dame anglaise un peu folichonne et ce vieux Monsieur, déconnecté du reste du monde et légèrement décrépi ??


Je crois que j'ai compris, aussi, je vous livre mon interprétation comme ça, tout de go, sans plus de fioritures parce que franchement je n'aime pas du tout, mais alors pas du tout ménager mon suspens, d'autant que je m'apprête à révéler quelque chose qui va en faire bondir certains, je le sais, et qui n'en ravira pas beaucoup. Parce que je sais très bien que ce que je vais dire, pour peut que cela soit important, ne peut laisser de marbre et provoquera sans aucun doute des réactions des plus violentes dans des commentaires assassins.
Plaît-il ? Ah oui, l'argument en question : Monsieur Hulot est un homme qui expérimente l'absurde et qui vit avec ; un lecteur de Camus en somme. Il se prend de plein fouet l'absurdité et la vanité de tous ces gens qui pensent se distraire et s'amuser en écoutant la radio et en jouant aux cartes, mais qui ne veulent pas se travestir dans un exercice costumé. Il se prend de plein fouet l'absurdité et la vanité de ce monde qui place les vacances dans l'ordre des choses, comme nécessaires et immuables. De cette confrontation avec le monde, Hulot en retire deux choses : une maladresse qui innerve tout venant de lui, qui le montre toujours en décalage avec la réalité, et une volonté farouche de vivre heureux en écoutant de la musique, en dansant, en jouant avec des enfants. Car qui est le plus heureux entre une grande brindille gauche déguisée en pirate, dansant avec la plus belle sirène du bord de mer, seul, et une assemblée de bienséants qui s'offusque à la moindre modification de leur quotidien routinier (même en vacances) ?


Dans Le mythe de Sisyphe, Albert Camus écrit : "L'absurde est essentiellement un divorce. Il n'est ni dans l'un ni dans l'autre des éléments comparés. Il naît de leur confrontation." C'est la confrontation de Hulot à ce monde étrangement ordonné qui l'en exclut et qui lui fait prendre conscience de sa propre finitude et de la nécessité de chercher à être heureux, hors de cette routine insipide.


Et pour en revenir au lien qui existe entre cet immense potache, la vieille dame et le vieux monsieur, il est simple : ces deux personnes sont les deux seules à voir ce qu'expérimente Hulot, et à l'apprécier. Un exemple pour chacun des deux : la partie de tennis pour la dame. Dans celle-ci, Hulot gagne tout sans pour autant avoir un tennis conventionnel ce qui plonge ses adversaires dans une rage bileuse et noire. La seule personne à rire aux éclats et à apprécier ce pied de nez à l'ordre établi c'est la dame qui arbitre et qui éprouve de plus en plus de sympathie pour l'énergumène goguenard. Pour le vieux monsieur, c'est la scène de la danse, qu'il entraperçoit par une fenêtre, à la dérobée, lorsqu'il décide enfin de ne plus suivre sa femme comme un petit chien obéissant mais déconnecté. Car déconnecté il l'est : il oublie toujours de saluer les gens, ou alors il le fait à retardement, le plaçant encore plus exclus du monde qu'à l'ordinaire. L'étincelle s'allume lorsqu'il voit ce grand monsieur danser avec cette petite dame fort mignonne, et ce sera finalement Hulot la seul personne qu'il saluera dûment et chaleureusement, allant même jusqu'à lui donner sa carte de visite avec son adresse.


Je pense bien que ce n'est pas la vision que Tati aurait de son oeuvre (quoique), mais c'est celle que j'ai de la sienne, et sans prétention aucune, je la trouve en adéquation avec la bonhomie ambiante de ce film.

Xavier_Petit
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le 23 déc. 2015

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Xavier Petit

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