Qu’est ce qu’on se marre depuis 2014 grâce à la série des Vieux fourneaux et ses petits plats savoureux servis sur 6 tomes, avec ses personnages éclatants et sa critique sociale piquante.
Puisque des gens ne lisent pas de bandes dessinées (les fous !) il fallait bien leur apporter cette bonne vieille recette mais qui ne sent pas le poisson pas frais par d’autres moyens. Le cinéma, par exemple.
Et puisqu’il vaut mieux ne pas laisser son bébé dans l’eau du bain d’un bon à rien, c’est Wilfrid Lupano, scénariste en titre de la bédé qui se charge du scénario et des dialogues. Il vient d’ailleurs faire un petit coucou dans le film, de même que le dessinateur, Paul Cauuet, confrontés aux péripéties de leurs personnages en vrai, tout en peau (fripée), en cheveux (un peu, et blancs) et en poils (blancs, on suppose).
Le film se montre très fidèle à la série dessinée, adaptant les deux premiers tomes, les mélangeant un petit peu, ne proposant que peu d’ajouts. Le lecteur ne sera guère surpris, mais au moins il ne soupirera pas face à une adaptation bâclée.
Car le film ne perd pas son humour pointu, avec ses personnages vieux mais toujours debout, Antoine, Mimile et Pierrot, et la petite-fille de l’un d’entre eux, la charmante Sophie. Le trio de personnes âgées mais pas à jeter se retrouve suite à la mort de la femme d’Antoine. C’est le deuil, c’est un peu triste, mais ils sont bien contents de se retrouver, entre l’ancien syndicaliste attaché au coin et à l’usine pharmaceutique d’à-côté, l’aventurier devenu pépère et l’anarchiste vaillant mais miro. Sauf que, ben les vieux secrets ressortent, que la morte elle a eu une aventure avec le patron de la boîte et que la Berthe, elle est bien culottée de se pointer à l’enterrement après ce qu’elle a fait au village 50 ans auparavant.
Derrière les apparences, et les vieilles amitiés, de celles qui peuvent survivre aux relations à longue distance, il y a donc encore une fois un fond, un arrière-plan, et qui n’est pas forcément si évident, même s’il faudra délier quelques langues. Par rapport à la bande dessinée, le film donne le sentiment de moins appuyer sur la critique, d’être parfois plus arrondi sur certains angles. Le passage acéré sur la responsabilité des vieilles générations sur le monde d’aujourd’hui semble moins féroce ici.
La mise en scène de Christophe Duthuron n’est peut-être pas étrangère à cette sensation. Il n’y a pas grand chose à lui reprocher, rien ne dépasse, c’est propre, mais cela manque peut-être d’un peu de folie. Le décor provincial est beau comme une carte postale, avec ce qu’il faut d’accents, mais sans jamais faire trop pittoresque, cela pourrait être n’importe où. Il n’y a que quand Pierrot, miro et fou du volant, prend son véhicule, que ça se bouge un peu, on tremble pour ses passagers et on s’amuse de son audace dans le non-respect des circuits.
Il n’y a que les souvenirs évoqués qui bénéficient d’un certain effort de mise en scène, reconstitués différemment, avec différentes idées. L’arrêt sur images en noir et blanc lors d’une grève ouvrière ne manque pas de force. Mais reconstituer ce passé avec différents procédés accentue malheureusement un présent et un quotidien présenté de façon plus classique, et probablement plus terne.
Mais ce qu’on ne peut pas reprocher à Christophe Duthuron, connu notamment pour ses pièces de théâtre, c’est le soin accordé à ses personnages. Il bénéficie, il faut le reconnaître, d’une excellente distribution, avec Pierre Richard, magistral, dans le rôle de Pierrot, Eddy Mitchell pour Mimile et Roland Giraud qui incarne Antoine (mais peut-être le moins marquant des trois), avec Alice Pol, en contrepoint jeune mais lucide et intelligente, parfois plus maligne qu’eux. Mis à part Eddy Mitchell, au physique un peu différent, un peu plus actif ici, les autres acteurs se fondent avec leur incarnation de papier, et on ne peut pas rêver meilleur Pierrot que Pierre Richard. Il n’était peut-être pas nécessaire d’ajouter artificiellement un peu d’embonpoint à certains, par contre.
Cette belle équipe fait vivre le film, il faut les voir se chamailler et se taquiner, toujours à ronchonner mais toujours vaillants. On y retrouve le sel des dialogues de l’œuvre originale, et c’est tant mieux. Mais le film en mélangeant ces deux histoires accuse un petit coup de mou au milieu, entre le choc des révélations et la conclusion, et surtout n’arrive pas à offrir les mêmes émotions que ces deux premières bandes dessinées, les meilleures de la série et qui vous prenaient au cœur. Celles-ci apparaissent à la fin, un peu diluées, un peu trop tard, mais qu’importe. On aura passé un bon moment avec ces vieux coucous et cette jeune femme embrigadée dans cette histoire.