Poiré, couvrez ce truc que nous ne saurions voir !

L’universelle malveillance des critiques accablant le dernier opus des Visiteurs me sidéra. Que cachait-il pour mériter un tel accueil ? J’admets que le scénario est bancal : alors que le brave Hubert ourdissait l’évasion du Dauphin, nous le retrouvons, sans transition, sous l’Occupation. Il y est beaucoup question d’odeurs corporelles, mais n’est-ce point la règle du comique de répétition ? Christian Clavier et Jean Reno vieillissent mal, leur jeu s’est fossilisé. Leur défaillance permet à Ary Abittan, Alex Lutz et une vingtaine de jeunes comédiens jouant la parentèle Montmirail, ses domestiques et le Comité de Salut Public, de se distinguer. Leurs rôles sont plutôt bien écrits. Les terrifiants Maximilien de Robespierre, Louis Antoine de Saint-Just, Georges Couthon, Jean-Paul Marat, Joseph Fouché, Jean-Marie Collot d'Herbois et Jacques-Nicolas Billaud-Varenne, endimanchés, savourent un souper fin dans les meubles et argenteries des Montmirail. « Salut et fraternité ! » La morale est simple, les vaniteux et odieux aristos cèdent leur place à une nouvelle élite bourgeoise. Pas de quoi fouetter un chat.


Alors pourquoi tant de haine ? Le tabou de la Terreur. Non seulement Poiré ose filmer une décapitation de près, mais il nous place au côté des futures victimes. Deux courtes séquences nous confrontent à un public enthousiasmé par le réjouissant spectacle de la chute de têtes poudrées, tonsurées ou communes. Mes maîtres célébraient le 14 juillet, puis passaient à Bonaparte. Les plus audacieux évoquaient les exécutions de Louis XVI, Danton et Robespierre : un tyran débonnaire, un modéré et un radical (sous-entendu, les torts sont partagés entre les camps, ils sont égaux dans la mort, oubliez et passons à Napoléon). Les manuels s’attardaient sur les petits meurtres entre révolutionnaires : les Montagnards éliminant successivement les Enragés d’Hébert, les Modérés de Danton et Desmoulins, puis les Girondins de Brissot… sans trop s’attarder sur tous les autres, des exécutions pourtant plus discutables.


Les faits : de mars 1793 à juillet 1794, les tribunaux révolutionnaires envoyèrent à la guillotine 17.000 personnes. 40.000, si on leur ajoute les châtiments extra-judiciaires. L’immense majorité est innocente, les contre-révolutionnaires ont émigré. Qu’à cela ne tienne, la Loi sur les suspects (17 septembre 1793) autorise l’arrestation de leurs proches, femmes, enfants et vieillards. Des riches, des puissants, mais aussi de pauvres types : 85 % des condamnés appartiennent au tiers état, 8,5 % à la noblesse, 6,5 % au clergé. Faute de pouvoir tous les frapper, la République spoliera les émigrés et le clergé de leurs biens. L’occasion de faire circuler la fortune foncière ! Relisez Chateaubriand et Balzac


Oubliez tout cela. Poiré, taisez-vous !


PS1 La gauche républicaine modérée saura s’en souvenir en 1871. Dès que la Commune prend les armes, les bourgeois fuient Paris. Léon Gambetta, Jules Ferry, Jules Grévy évoquent « un gouvernement factieux ». Adolphe Thiers rassemble les débris des armées impériales vaincues et les lance sur la capitale. Ils abattront, pêle-mêle, radicaux, jacobins, blanquistes, avant-gardistes, collectivistes, proudhoniens, indépendants et autres pauvres types. 7.000 tués dont 1.400 fusillés, en moins d’une semaine. Relisez Jules Vallès et Tardi.


PS 2 Le tabou un sujet qu’il est malséant d'évoquer, en vertu des convenances sociales ou morales.


PS 2 Nous infligeons à la Terre entière des leçons de laïcité, tolérance, démocratie et bonne gouvernance. Quelle est notre légitimité à dénoncer leurs exactions, si nous nions les nôtres ?

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le 22 sept. 2016

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Step de Boisse

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