La sagesse ne peut pas entrer dans un esprit méchant

En quelques lignes :


Le Docteur Génessier, éminent chirurgien, enlève des jeunes femmes pour leur voler leur visage. Il espère réussir une greffe de peau sur sa fille Christiane, défigurée dans un accident de voiture dont il est responsable.


En un peu plus :


Si le cinéma français des années soixante avait eu son cabinet de curiosités, Les Yeux sans visage y figurerait certainement. La bizarrerie du film de Georges Franju tient avant tout à sa singularité générique, au moment de sa sortie, dans le paysage du cinéma hexagonal. Alors que l’époque voit s’épanouir la Nouvelle Vague et ses projets d’avant-garde, Georges Franju réalise en effet une œuvre-chimère, empruntant aussi bien au cinéma d’épouvante qu’au cinéma fantastique, au cinéma scientifique, au giallo ou au film noir. En racontant l’histoire d’un chirurgien devenu fou dans un noir-blanc peuplé d’ombres inquiétantes, de maisons recluses et de ritournelles morbides, Franju semble ainsi regarder dans le rétroviseur du cinéma quand tout le monde cherche, à cette période, à en briser les conventions. C’est dans ce classicisme étrange, tout à la fois inédit et en décalage avec son temps, que le poète Jean Cocteau verra paradoxalement toute l’audace des Yeux sans visage : « Les ancêtres de ce film habitent en Allemagne, cette Allemagne de la grande époque cinématographique de Nosferatu. De longue date, nous n’avions pas retrouvé la sombre poésie, l’hypnose que provoquent le macabre, les maisons funestes, les monstres fabuleux de l’écran. »


La fascination qu’exerce le film, au-delà de sa bizarrerie générique, tient cependant aussi à la monstruosité qu’il raconte, et à la façon dont celle-ci s’exprime à l’écran. Si l’on peut de toute évidence voir dans le Docteur Génessier, monstre humain dévoré par l’hybris et l’ambition scientifique, un Frankenstein des temps modernes doublé d’un tueur en série, c’est dans le motif central du masque et dans ce qu’il cache et révèle tout à la fois, que se cristallise l’essence « monstrueuse » du film. Car le masque est toujours double, dans Les Yeux sans visage : il y a bien sûr le masque blanc de Christiane, face de Pierrot triste apposée sur son visage démoli pour en retrouver provisoirement la dignité, masque étrange pourtant car presque humain mais pas tout à fait, identité perdue dans une vallée dérangeante, avec tout ce qui se fomente derrière sans que l’on sache trop ce que c’est, violence sourde, vengeance ou légitime défense ; il y a enfin les visages bizarrement figés de ceux qui violentent, capturent et tuent, masques de chair vive qui cachent mal leur monstruosité puisqu’il reste, sous l’artifice, les yeux et ce qu’ils portent de lueurs pulsionnelles, de passions inavouables.


Dans Les Yeux sans visage, le masque semble ainsi remonter aux origines, au masca des spectres ou démons, au maskara de la tache noire ou de la salissure, à ce qui hante en soi et que l’on cherche à cacher. Il est aussi et surtout l’écran sur lequel est projeté le visage janusien de l’humanité, oscillant entre l’innocence des victimes et la monstruosité des bourreaux.


Et en quelques images:


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Créée

le 26 janv. 2023

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