Des yeux sans visage et un médecin sans scrupules
« Les yeux sans visage »
Rien que le titre aguiche, avouez…
J’avoue sans honte que je n’en avais jamais entendu parler, et je profite de cette « critique » pour remercier Biniou qui, en me le proposant pour l’une de mes listes « films de bébêtes volantes / rampantes / mordantes… » me l’a fait découvrir (comme quoi l’amour des films « alternatifs » dirons-nous, est une porte ouverte sur de jolies trouvailles, parfois).
Fortement intriguée à la lecture du synopsis, à la vue de quelques images extraites de la pellicule, je partais tout de même plutôt à l’aveuglette, prête à être surprise et peu encline à être déçue, n’en attendant rien de spécial.
Surprise totale ! Dans le bon sens du terme, bien évidemment. Je ne partirai pas sur la voie trop souvent empruntée du « pour une fois qu’un film français, blablabla… » car en cherchant bien, on trouve de bons films français dans tous les genres et de plus je trouve réducteur de dire que Les yeux sans visage serait un bon film d’épouvante/horreur pour un film français : C’est un bon, voir très bon film d’horreur / épouvante tout court !
Et c’est dès le départ que nous sommes envoûtés grâce à la bande originale, superbe, de Maurice Jarre, qui, si elle surprend au début, est à la fin clairement indissociable du film. Elle contribue à donner à l’ensemble une ambiance de conte, à la fois poétique (le personnage de Christiane) et glauque (le Docteur Génessier). Car il est indéniable que ce qui fait la beauté de ce film, c’est que transcendant les codes du film d’horreur « basique », se contentant d’effrayer, et quand c’est bien fait, j’suis la première à applaudir des deux mains devant mon écran (c’est une image, hein), ici, oui on est effaré des agissements horribles du docteur et de son assistante, mais en même temps une certaine féerie se dégage grâce à l’aspect psychologique des personnages, qui sont le point fort du film.
Le point de départ, c’est Christiane, la fille du bon docteur, défigurée par un accident de voiture dont son père est le responsable. Christiane vit en recluse dans le manoir paternel car aux yeux du monde elle est décédée, obligée de porter un masque, et l’on devine vite que ce masque sert à épargner la vue de son visage lacéré à papa et à son assistante, plus qu’à elle-même. Christiane dont la seule envie finit par être celle de s’échapper, d’être libre, par n'importe quel moyen, et dans une magnifique scène où elle rend visite aux chiens-cobayes de son père, on percute de suite : la pauvre jeune-fille n’est qu’un cobaye de plus…Une princesse prisonnière de son château.
Cobaye de son scientifique de père, qui, à l’instar de beaucoup de ses confrères cinématographiques a une forte propension à se prendre pour dieu. Car s’il veut rendre un visage humain à sa fille, c’est un peu par amour, beaucoup par culpabilité mais surtout, pour réussir l’entreprise de sa vie. Ne dira-t-il lui-même : « J’ai du faire tant de mal pour un miracle ». Je pense qu’il n’y a aucun altruisme véritable chez ce père, incapable de la moindre empathie, froid, et qui veut aider sa fille non pour son bien à elle mais parce que c’est le but qu’il s’est fixé. C’est le monstre du conte, en somme.
Le troisième personnage du trio qui forme le noyau central de cette histoire, c’est Louise, l’assistante (trop) dévouée. Personnage complexe et de ce fait, assez fascinant, qui de par ses qualités (la reconnaissance envers le médecin qui lui a rendu un visage parfait, effaçant ses cicatrices, apprenons-nous) sera entraînée à commettre les pires horreur : c’est elle, en effet, qui attire les jeunes-filles qui ne se méfieront pas d’une brave dame, sympathique au demeurant (suis-je la seule à qui cela a rappelé de tristes évènements réels et beaucoup plus proches de nous ?) et les conduit dans l’antre du docteur. Elle encore qui l’assistera dans ses sombres opérations, elle encore qui se débarrasse de certains cadavres… Louise, à un moment, montrera du dégoût pour cette sinistre entreprise, mais la dévotion et l’admiration qu’elle porte à Génessier font qu’elle mettra sa conscience de côté.
Le seul bémol à mon goût, c’est que bien qu’il n’y ai pas dans Les yeux sans visage de scènes inutiles, certaines s’étirent un peu trop en longueur, ce qui occasionne je trouve, certaines baisses de rythmes dans la première partie du film, mais ceci est largement rattrapée par les qualités dont fourmillent ce long-métrage, notamment la qualité d'interprétation de Pierre Brasseur (Dr Génessier) et Alida Valli (Louise). Edith Scob ne démérite pas, son "incarnation corporelle" si j'ose dire, de Christiane, est parfaite mais dur de juger le jeu d'une actrice qui sera masquée les 3/4 du temps.
Ceci est un conte macabre parce que s’alterneront les scènes poétiques de Christiane, évoluant, évanescente, seule dans le château, dans des tenues renforçant l’impression fantomatique de pureté qu’elle dégage et des scènes beaucoup plus « gores », surtout pour un film de cette époque (la première opération, enfin première que l’on verra, son père n’en étant pas à son coup d’essai, d’une froideur chirurgicale implacable).
Ceci est un conte macabre, enfin, grâce à son final, magnifique et horrible, troublant même, nous laissant dans le flou quant à l’avenir de Christiane, comme lorsqu’un conte, une fois terminé, laisse nos imaginations faire le reste.