"jeu de mot pourri ne faisant rire que son auteur et constituant un titre de critique"
Je pense que de ses trois œuvres les plus réputées (« Les frères Karamazov », « L’Idiot » et « Crime et Châtiment »), cette dernière est surement la plus accessible. Là où les digressions théologiques ou psychologiques des « Frères Karamazov » peuvent en rebuter certains et où le nombre incalculable de personnages intervenant dans « L’Idiot » peut en noyer d’autres, « Crime et Châtiment » se révèle d’une simplicité désarmante ! Et attention, il n'y a rien de péjoratif là-dedans, au contraire : je m'attendais à un chef d'oeuvre et je n'ai pas été déçue.
Lorsque je parle de simplicité, c’est en premier lieu à propos du style de Dostoïevski qui allie une prose virtuose, belle et fluide en même temps, à des dialogues d’une précision diabolique. Ses incursions dans l’esprit de Raskolnikov sont tout bonnement passionnantes et il nous impose très peu de passages descriptifs, qui je l’admets, constituent ce qui me rebute le plus dans un livre, même lorsqu'il sont plus que bien écrit.
La simplicité apparente de son histoire, aussi.
Rodion Romanovitch Raskolnikov, jeune étudiant nihiliste ou se persuadant de l’être, vivant chichement grâce aux aides pécuniaires de sa mère et de sa soeur Dounia, réalise que quelques milliers de roubles assureraient son entrée dans la vie active et enclencheraient le début de sa carrière sous les meilleurs auspices. De là lui vient une folle idée s'immisçant peu à peu dans son esprit : tuer son usurière et voler l’argent dont il a besoin. Après tout, tuer un être mauvais, nuisible, afin de s’installer en vue de, plus tard, accomplir de nombreuses choses, bénéfiques qui plus est, ne peut être vraiment considéré comme un crime, comme quelque-chose de mal ?
A certains hommes, grands hommes, ce droit n’a jamais été contesté : le droit de faire un peu de mal pour beaucoup de bien (en cela Raskolnikov cite comme exemple, entre autre, Napoléon et déclare : "Je ne comprends décidément pas pourquoi il est plus glorieux de bombarder de projectiles une ville assiégée que d'assassiner quelqu'un à coups de hache.").
Le véritable point de départ de l’histoire sera donc le meurtre de « la vieille », comme elle sera presque toujours nommée dans le récit, et là, on s’incline devant le talent, outre purement littéraire, de conteur de Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski (ce que les noms russes peuvent être beaux…).
Ce passage tient en haleine, c’est du polar, quel suspense ! On ne peut décrocher les yeux de son bouquin avant de savoir comment cela va se terminer, comment Raskolnikov va pouvoir se sortir du pétrin dans lequel il s’est fourré ! Virtuose incursion dans le genre policier, ce passage est à lire deux fois : la première fois, et bien… parce que je défie quiconque, donc, de faire une pause à ce moment-là ; et la seconde pour bien assimiler chaque petit détail.
Voilà pour le crime.
S’ensuivront les nombreuses répercussions sur l’esprit orgueilleux et fragile de Raskolnikov de son crime, tiraillé entre ce que lui dicte sa raison, ce qu’il prône et sa nature profonde qu’il ne peut complètement ensevelir sous les couches du nihilisme auquel il tente vainement de se raccrocher pour justifier son acte, se dédouaner de sa culpabilité. Dostoïevski nous dépeint avec un talent, une verve, une flamboyance même, l’impact de cet acte sur Raskolnikov, tant au point de vue physique (il tombe malade, délire sous l’effet de la fièvre) que mental (paranoïa, exaltation, prostration…). Parallèlement, l’écrivain incorpore à son récit de nouveaux personnages, certains, (peu, ce qui permet une meilleure lisibilité de l’ensemble), seront bien développés, d’autres ne font que passer, mais n’en sont pas pour autant de moindre importance. Dans le premier cas, notons bien sur Sonia, qui sera la planche de salut de Raskolnikov, celle qui lui montrera le chemin qui mène à la rédemption ; ou Svidrigaïlov personnage de prime abord fantasque mais plus intéressant et profond qu'il n'en a l'air.
Ce qui est passionnant, au fur et à mesure que l’on approche de la fin et que le dénouement se fait de plus en plus évident, c’est la question qui alors s’est imposée à moi : Qu’est-ce qui détruit vraiment Raskolnikov ? Le crime qu’il a commis et les remords qui en découlent ? Ou justement le fait d’avoir ces remords, de ne pas être l’un de ces surhommes que l’ex-étudiant jugeait aptes à tuer pour le plus grand bien ? De n’être "que" Raskolnikov ?
Voilà pour le châtiment…
L’épilogue, en Sibérie, est d’une grande beauté, d’une grande force, si j’étais du genre à avouer sur Senscritique que j’en ai presque versé une larmichette, je l’avouerai mais n’allez pas croire… La fin est positive, chose qui m’a surprise de la part de l’auteur russe mais qui s’explique parfaitement : après la juste punition, sans laquelle elle n’est possible, vient la rédemption.
Raskolnikov qui, ayant accepté la souffrance inhérente au châtiment de son crime, trouve enfin une paix, un espoir, grâce à Sonia. Et grâce à dieu aussi. Surtout. Sonia était là pour ramener dans sa vie un dieu qu’il n’avait jamais vraiment réussi à chasser.
Le châtiment ordonné par les hommes, une fois accepté annihile le châtiment le plus terrible : celui que l’on s’impose à soi-même.
Crime et Châtiment est un livre grandiose, oeuvre magistrale sur le remord, la rédemption. Raskolnikov, un personnage marquant que l’on apprend très vite à connaître et dans lequel on se reconnait, parfois. J’ai pris mon temps pour le lire, pour le savourer le plus de temps possible et je vous conseille, si l’envie vous en prend, de faire de même.
(Et j'ai encore écrit un pavé bordel...)