Sans crier gare avec un style presque minimaliste, Franju nous offre avec les yeux sans visage un film délicieusement poétique sur l'identité d'une jeune femme ayant été défigurée suite à un accident. S'approchant du genre fantastique ou horrifique avec ses scènes médicales un brin sanguinolentes, le réalisateur nous promène dans un environnent où se côtoie la tristesse intérieure d'une jeune femme qui ne sait plus comment apparaître aux yeux des gens avec cette ambiance glauque où l'on y voit un père meurtrier faisant tout pour réparer le visage de sa fille, Christiane. Le film est beau, l'image est sublime avec un noir et blanc qui subjugue ce jeu des ombres et des lumières, entouré d'une musique à la fois doucement légère et durement solitaire. Tout est question d’apparence et de regard. D'un coté, le réalisateur pose son regard sur le père de Christiane. Médecin mais rongé par une certaine culpabilité et par une envie de création médicale, Pierre Brasseur joue le rôle d'un homme sans ou presque sans états d’âmes. Dans cette partie là, le film tend vers l'horrifique avec ces cheminements angoissants pour trouver des proies avec l'aide de sa secrétaire.
Puis de l'autre, et c'est là où le film prend tout son sens, Les yeux sans visage fait naviguer cette jeune femme avec un masque comme pour cacher ses fêlures physiques ou morales. Elles semblent enfermées dans cet habit de monstre, tout comme elle ère dans une maison d'où elle ne peut sortir. Par le prisme de la symbolique, le réalisateur l'identifiera à une sorte d'oiseau fermé dans sa cage. Elle déambule dans cette maison, tel un fantôme qui hanterait une demeure, pourchassée par sa solitude et la culpabilité qu'elle enfouit en elle même au vu des crimes de son père. Mais sa quête d'identité et sa quête de liberté ne passera pas forcément par le biais d'un changement physique mais aussi par l'acceptation de soi même et de l'image qu'on veut dévoiler aux autres de soi même. Film fleurtant avec la grâce, on a pu s'apercevoir dernièrement que plusieurs réalisateurs y ont fait référence comme Almodovar avec El piel que Habito ou Holy motors avec son hommage à Edith Scob. Malgré la cruauté d'un récit presque dramatique, Les yeux sans visage est un film qui papillonne entre clair et obscur, entre poétique et fantastique sans jamais nous relâcher.