Au plus près du trompettiste Chet Baker et de ce qu'il était comme homme et artiste

Chet Baker (1929-1988) était un grand et célèbre trompettiste de jazz américain, au même titre que Louis Amstrong, Lionel Hampton, Miles Davies et Dizzy Gillepsie. Il s'est notamment illustré, dans les années 50, au côté du saxophoniste Gerry Mulligan dans un quartette sans piano de cool jazz.

Le film de deux heures que lui a, quasi amoureusement, consacré Bruce Weber nous le fait découvrir au moyen d'un long interview filmé en 1987 sur plusieurs jours (ou semaines ?), dans lequel le réalisateur a intercalé d'autres documents photographiques (petits films ou photos) et sonores illustrant les différents temps de sa vie d'homme et d'artiste, ainsi que des interviews de personnes l'ayant connu : amis musiciens, anciennes femmes (il s'est marié trois fois) ou maîtresses. Et cette découverte de ce que furent la vie tourmentée et l'art du remarquable trompettiste de jazz (et chanteur-crooner) qu'était Chet Baker, est aussi passionnante qu'éprouvante. Alors que des bouts de film nous le montrent dans toute la plénitude de sa jeunesse (jeune homme charmant, talentueux, avide de vivre, et s'affirmant immédiatement dans son art), on a presque constamment sous les yeux, pendant les 4/5èmes du long métrage, le Chet Baker de 57 ans, grand brûlé de l'existence et devenu un irrécupérable junkie au visage émacié, ravagé. Le documentaire nous apprend notamment qu'il était contraint de porter un dentier, parce qu'un mystérieux ennemi ou rival lui avait fait casser toutes les dents et briser la mâchoire, afin qu'il ne puisse plus jouer de la trompette (qui était son gagne-pain). Il lui avait fallu trois ans pour réapprendre à jouer en virtuose en maîtrisant les particularités phoniques suscitées par ses fausses dents. On découvre aussi deux de ses fils, une fille et la femme avec laquelle il les a conçus ; et c'est un moment troublant (ou déchirant), parce que l'un de ses fils lui ressemble au point qu'on a l'impression de le retrouver, lui : Chet, encore jeune homme et plein de charme & d'innocence. À un moment de ce long interview effectué dans l'optique de la réalisation d'un film censé l'immortaliser définitivement comme un grand artiste et une légende du jazz, Bruce Weber demande à Chet Baker si la perspective de pouvoir plus tard regarder ce documentaire sur sa vie et carrière le rend heureux (car c'est une sorte de consécration, d'apothéose pour le trompettiste), et Chet lui répond, d'une voix hésitante, lassée, presque humble, qu'il a maintenant 57 ans et que... Il n'achève pas sa phrase, mais on comprend qu'il a conscience d'avoir consumé sa vie (au contact des autres, des femmes, des rivaux, des pièges et difficultés, des paradis artificiels : drogues, alcools) dans le désir de vivre à cent à l'heure, sans frein ni barrière, et qu'il se sent désormais au bout du rouleau, trop affaibli et "dépendant" pour se projeter dans l'avenir ni même tenir jusqu'à la pleine finition du film décrivant son parcours. Il meurt l'année suivante à La Haye : juste après avoir absorbé un mélange de cocaïne et d'héroïne, il tombe, à trois heures du matin, de la fenêtre de sa chambre d'hôtel sur la voie publique, deux étages plus bas. Accident ou suicide ? Allez savoir. Sorti quelque mois plus tard, donc en 1988, le documentaire de Bruce Weber vient juste de ressortir (2024) en nouvelle version 4K. Il est captivant, désolant. Il m'a profondément remué les tripes... et rappelé une citation de Scott Fitzgerald (au tout début de sa nouvelle The Crack-Up / La fêlure, février 1936) : "all life is a process of breaking down" (L'histoire de toute vie est celle d'un échec).

Pour ceux qui ne connaissent pas Chet Baker : https://www.youtube.com/watch?v=ElowaWp95Vc ainsi que https://www.youtube.com/watch?v=I5l0jkC71Yk

Fleming
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le 3 juil. 2024

Modifiée

le 11 juil. 2024

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