This is always
Il est des personnages de cinéma qui marquent. Leur charisme, leurs aventures, leur présence suffit même parfois à construire une histoire passionante. Cela peut tenir à peu de chose. Un regard...
Par
le 24 oct. 2010
8 j'aime
Chet Baker (1929-1988) était un grand et célèbre trompettiste de jazz américain, au même titre que Louis Amstrong, Lionel Hampton, Miles Davies et Dizzy Gillepsie. Il s'est notamment illustré, dans les années 50, au côté du saxophoniste Gerry Mulligan dans un quartette sans piano de cool jazz.
Le film de deux heures que lui a, quasi amoureusement, consacré Bruce Weber nous le fait découvrir au moyen d'un long interview filmé en 1987 sur plusieurs jours (ou semaines ?), dans lequel le réalisateur a intercalé d'autres documents photographiques (petits films ou photos) et sonores illustrant les différents temps de sa vie d'homme et d'artiste, ainsi que des interviews de personnes l'ayant connu : amis musiciens, anciennes femmes (il s'est marié trois fois) ou maîtresses. Et cette découverte de ce que furent la vie tourmentée et l'art du remarquable trompettiste de jazz (et chanteur-crooner) qu'était Chet Baker, est aussi passionnante qu'éprouvante. Alors que des bouts de film nous le montrent dans toute la plénitude de sa jeunesse (jeune homme charmant, talentueux, avide de vivre, et s'affirmant immédiatement dans son art), on a presque constamment sous les yeux, pendant les 4/5èmes du long métrage, le Chet Baker de 57 ans, grand brûlé de l'existence et devenu un irrécupérable junkie au visage émacié, ravagé. Le documentaire nous apprend notamment qu'il était contraint de porter un dentier, parce qu'un mystérieux ennemi ou rival lui avait fait casser toutes les dents et briser la mâchoire, afin qu'il ne puisse plus jouer de la trompette (qui était son gagne-pain). Il lui avait fallu trois ans pour réapprendre à jouer en virtuose en maîtrisant les particularités phoniques suscitées par ses fausses dents. On découvre aussi deux de ses fils, une fille et la femme avec laquelle il les a conçus ; et c'est un moment troublant (ou déchirant), parce que l'un de ses fils lui ressemble au point qu'on a l'impression de le retrouver, lui : Chet, encore jeune homme et plein de charme & d'innocence. À un moment de ce long interview effectué dans l'optique de la réalisation d'un film censé l'immortaliser définitivement comme un grand artiste et une légende du jazz, Bruce Weber demande à Chet Baker si la perspective de pouvoir plus tard regarder ce documentaire sur sa vie et carrière le rend heureux (car c'est une sorte de consécration, d'apothéose pour le trompettiste), et Chet lui répond, d'une voix hésitante, lassée, presque humble, qu'il a maintenant 57 ans et que... Il n'achève pas sa phrase, mais on comprend qu'il a conscience d'avoir consumé sa vie (au contact des autres, des femmes, des rivaux, des pièges et difficultés, des paradis artificiels : drogues, alcools) dans le désir de vivre à cent à l'heure, sans frein ni barrière, et qu'il se sent désormais au bout du rouleau, trop affaibli et "dépendant" pour se projeter dans l'avenir ni même tenir jusqu'à la pleine finition du film décrivant son parcours. Il meurt l'année suivante à La Haye : juste après avoir absorbé un mélange de cocaïne et d'héroïne, il tombe, à trois heures du matin, de la fenêtre de sa chambre d'hôtel sur la voie publique, deux étages plus bas. Accident ou suicide ? Allez savoir. Sorti quelque mois plus tard, donc en 1988, le documentaire de Bruce Weber vient juste de ressortir (2024) en nouvelle version 4K. Il est captivant, désolant. Il m'a profondément remué les tripes... et rappelé une citation de Scott Fitzgerald (au tout début de sa nouvelle The Crack-Up / La fêlure, février 1936) : "all life is a process of breaking down" (L'histoire de toute vie est celle d'un échec).
Pour ceux qui ne connaissent pas Chet Baker : https://www.youtube.com/watch?v=ElowaWp95Vc ainsi que https://www.youtube.com/watch?v=I5l0jkC71Yk
Créée
le 3 juil. 2024
Modifiée
le 11 juil. 2024
Critique lue 14 fois
1 j'aime
2 commentaires
D'autres avis sur Let's Get Lost
Il est des personnages de cinéma qui marquent. Leur charisme, leurs aventures, leur présence suffit même parfois à construire une histoire passionante. Cela peut tenir à peu de chose. Un regard...
Par
le 24 oct. 2010
8 j'aime
Ce qui n'aurait pu être que la réalisation déformée mais très belle d'un autre caprice de Bruce Weber, après Broken Noses, constitue en fait ce qui est probablement l'un des documents les plus proche...
le 19 juin 2016
4 j'aime
3
Chet Baker (1929-1988) était un grand et célèbre trompettiste de jazz américain, au même titre que Louis Amstrong, Lionel Hampton, Miles Davies et Dizzy Gillepsie. Il s'est notamment illustré, dans...
Par
le 3 juil. 2024
1 j'aime
2
Du même critique
J'ignore à peu près tout des mangas. Je n'aime généralement pas les films d'animation, les dessins retirant, selon mon ressenti, de la vérité au déroulement filmé de l'histoire qu'on regarde. Et je...
Par
le 25 sept. 2021
37 j'aime
19
J'ai vu plusieurs films réalisés par Nicole Garcia. Le seul qui me reste vraiment en mémoire est Place Vendôme que j'avais aimé. Elle, je l'apprécie assez comme actrice, encore que je ne me souvienne...
Par
le 17 nov. 2021
33 j'aime
16
Les deux premiers tiers du film sont bons, voire très bons, en tout cas de mon point de vue. J'ai trouvé ça intéressant à regarder et à suivre. Et même passionnant. Est-ce outrancier ? Je ne connais...
Par
le 17 août 2021
33 j'aime
19