Aussi authentique qu’un documentaire, aussi palpitant qu’un film d’aventure, « L’étreinte du serpent » rampe sur des traces hallucinées mêlant la beauté plastique et ethnologique. On y retrouve même du Coppola lorsque les voyageurs débarquent dans une mission oubliée de Dieu et des hommes. On y voit l’ombre démente d’un colonel Kurtz dans la soutane blanche d’un prêtre dictateur. Quarante ans plus tard, c’est un faux Christ illuminé par les ténèbres de son âme qui tiendra en joue et sous son joug, une population fanatisée et terrorisée. Mais, s’affranchissant de ces références, le film de Ciro Guerra trouve sa propre identité en imposant son rythme narratif, parfois brouillon ou brouillé, mais ne perd jamais ce souffle vital qui traverse les siècles.
Quelle beauté, quelle fragilité captée tout en finesse. Ce film est d'une telle justesse; l'immersion s'impose au spectateur naturellement, comme une force extérieure au film. La forêt aspire irrémédiablement tout notre corps, qui est d'ailleurs magnifié chez les personnages, entre ruptures et camouflages. Le temps n'existe plus, les hommes se fondent, ils flottent dans l'espace. Nous nous faisons littéralement écraser par la densité et la sincérité de ces vastes étendues. Malgré sa force, malgré les éléments, la forêt éternelle vacille, petit à petit bouleversée... Martyrisée comme les peuplades qu’elle abritait, l’Amazonie a beau être toujours le poumon du monde, elle commence à manquer d’air. « L’étreinte du serpent » nous rappelle que son dernier souffle sera notre mort à tous…