Le roman de Nicolas Mathieu se prêtait parfaitement à la veine du cinéma social des Frères Dardenne ou d'un Stéphane Brizé, avec ses personnages cabossés et son sous-texte sociologique. Ce n'est pas du tout le choix des frères Boukherma. Ils choisissent plutôt de s'inscrire dans les pas d'un Xavier Dolan avec un film plein d'entrain et de passion sur la jeunesse et la soif de liberté. Les premiers émois d'Anthony, les rapports violents avec son père, son désir d'appartenir, de se conformer, ou à l'inverse la recherche de son identité...tout ça est très bien amené, grâce à une mise en scène sensible et une bande-son omniprésente, comme chez Dolan.
Le problème, c'est qu'à l'inverse, le contexte social est relégué au second-plan. Il est même réduit à un décor qu'on aperçoit de temps à autre, cette immense usine rouillée autour de laquelle les ados se retrouvent parfois, ou encore ces intérieurs et ces quartiers ouvriers qui dénotent par rapport au quartier des filles. Pourquoi , au fond, la relation entre Steph et Anthony ne décolle-t-elle jamais vraiment ? C'est qu'ils viennent de deux mondes différents, et Clémence, en particulier, n'a pas envie de cette réalité dans laquelle, elle le devine, Anthony baigne. Nicolas Mathieu nous le suggère magnifiquement dans son roman. Le film n'a même pas esquissé l'once d'une analyse dans ce sens...Attention, il s'agit d'une adaptation, et loin de moi l'idée la juger à l'aune du contenu du livre. Au contraire, je préfère largement les propositions de cinéma qui s'émancipent de leur modèle littéraire, comme le fait par exemple Le Comte de Monte-Cristo cette année. Mais, même en ne considérant le film qu'en lui-même, on sent qu'une dimension n'est qu'effleurée, qu'on rate quelque chose.
On a même l'impression que les réalisateurs ont conscience de leur faiblesse, et tentent d'y remédier un peu maladroitement, par exemple avec cette séquence autour de l'enterrement du maire. Pourquoi parle-t-on de lui soudainement ? Que vient-il faire là, si ce n'est donner l'occasion des retrouvailles entre les parents d'Anthony ? Ne s'agit-il pas plutôt d'une figure de cette France rurale abandonnée, dont on a un peu omis de brosser le portrait pendant nos balades en moto sur fond de tubes des années 90 ? C'est dommage, parce que j'ai beaucoup aimé la sincérité et l'envie qui se dégagent constamment du film. On est emportés, on vibre avec les personnages. C'est le cinéma qui me plaît habituellement. Mais il reste à la fin comme une impression d'inachevé, une façon globale de survoler les choses qui fâchent là où le fond de l'intrigue invitait au contraire à s'y plonger allègrement. Il y avait sûrement un juste-milieu entre le misérabilisme que les frères ont très bien évité, et le trop-plein dolanien qui ne convenait pas complètement au propos ni à l'intrigue. Il n'a pas été trouvé.