Bien avant David Lynch, Sam Mendes, Todd Haynes ou même Tim Burton, Douglas Sirk, sous des gros effets mélodramatiques et une mise en scène sophistiquée et chatoyante à l'extrême, l'air de rien, avait commencé à critiquer les éternelles banlieues américaines qui, sous une apparence lisse et proprette, sont des nids idéaux pour l'hypocrisie, le puritanisme et la frustration.
Richard Quine suit de peu Douglas Sirk dans cette critique, à la différence qu'il préfère utiliser la sobriété comme arme, en gommant au maximum les effets mélodramatiques.
Il a en outre le mérite d'éviter le moralisme à deux balles quand il aborde l'adultère. D'ailleurs, le seul personnage qui entrave réellement ce dernier est un frustré.
Autre mérite, celui d'éviter la caricature, en particulier, en ne nous sortant pas les stéréotypes de l'épouse mégère et de la maîtresse femme parfaite, mais au contraire en nous mettant face, pour la première, à une femme aimante et qui croit sincèrement aider son mari en le poussant à être le plus ambitieux possible, sans comprendre qu'il a d'autres aspirations ; elle parvient même à être émouvante sur la fin du film. Quant à celui de la femme adultérine joué par Kim Novak, si elle est malheureuse en couple, c'est parce qu'elle s'est mariée avec le premier venu pour vivre loin de sa mère qu'elle jugeait de mœurs trop libres.
Kirk Douglas préfigure remarquablement son personnage d'homme d'affaires riche qui pète les plombs de L'Arrangement et montre encore une fois qu'il est totalement à l'aise dans un registre sensible, la sublime Kim Novak (tellement sublime qu'à moins d'être un homosexuel refoulé, on ne peut trouver aucune excuse à son mari dans le film de rester insensible à son charme !) n'a jamais montré avec autant de délicatesse une certaine fragilité.
On signalera aussi une réplique dont le côté plus qu'explicite détonne dans un film de cette époque, et qui prouve que l'agonie du Code Hays était déjà bien entamée, "I want make love to you", et une fin sobrement déchirante pour ce très beau film d'amour.
Loin d'être un grand fan de Richard Quine, que je trouve bon cinéaste sans plus, ayant en outre quelquefois flirté avec le très mauvais (je vous mets au défi de regarder Train, amour et crustacés sans avoir envie d'exploser votre télé !), j'ai eu l'agréable surprise de voir que sa filmo compte au moins deux excellents films : L'Inquiétante Dame en noir (avec aussi Kim Novak !) et celui-ci.