Robert Parrish a beau ne pas avoir une carrière prolifique, il n'en reste pas moins un auteur saisissant qui vaut largement la peine que l'on s'intéresse à son cinéma. C'est le second long-métrage que je découvre de lui (si l'on ne compte pas les segments qu'il a réalisé dans l'hilarant Casino Royale de 1967), après le singulier mais très bon La Flamme pourpre, avec lequel Libre comme le vent (ou Saddle the Wind dans son titre original, que c'est beau !) partage d'ailleurs un certain nombre de points communs. Dans un cas comme dans l'autre, on s'attaque à la déconstruction des stéréotypes d'un genre codifié, au propos moral appuyé et contraire aux valeurs classiques hollywoodiennes. Pas étonnant que Parrish n'ait d'ailleurs pas fait de vieux os dans l'industrie américaine, exilant son cinéma en Europe.
Premier western scénarisé par Rod Serling, apportant définitivement du sang neuf et une patte iconoclaste, Libre comme le vent peut se présenter comme une classique série B aux airs de western crépusculaire. Très rapidement, l'envergure du film se remarque. On pose dès la scène d'introduction une ambiance sèche de film noir, avec cette séquence d'arrivée d'un tueur à gage dans une fascinante ville morte de l'Ouest américain qui nous ferait presque dire que les Italiens n'ont rien inventé dans le western. Parrish se focalise sur la caractérisation d'un personnage secondaire et éphémère, anti-héros auquel il accorde l'importance des cadres réservés aux héros.
L'ambiance est posée, façonnée par le spectre de ce tueur dont la présence se ressentira dans tout le premier tiers du film. En parallèle, la découverte du clan Sinclair, deux frères interprétés par Robert Taylor et John Cassavetes, présente également ses propres singularités. La relation semble bon enfant dans la fratrie, et pourtant on ne peut que constater les problèmes qui se forgent, entre le caractère imprévisible du personnage de Cassavetes, le jeune frère, et les fantômes du passé qui hantent ceux de Taylor et Julie London. Fantômes du passé qui se retrouvent d'ailleurs à plus d'une reprise dans le film, notamment avec le clivage toujours présent entre Nord et Sud.
Évidemment c'est la confrontation avec le tueur arrivé en ville qui scelle le destin des héros. Dès lors, la déconstruction du mythe s'effectue avec une force impressionnante et Libre comme le vent tient un discours absolument radical et anti-spectaculaire sur la violence de la société américaine. Ce traitement aussi abrupt d'un tel thème ne se retrouvera pas (ou peu) avant le Nouvel Hollywood. Ici, le duel est laid. Il ne construit pas les légendes de l'Ouest, justement, il détruit. Pendant tout le film, à travers l'effondrement psychologique du personnage de Cassavetes, Parrish décrypte les méfaits de l'arme et de la violence.
Résolument terrible, le traitement de ladite violence rappelle justement celle de L'Homme de l'Ouest d'Anthony Mann, dans lequel Julie London jouait également. Les personnages, même ceux qui la refusent, y sont happés d'une manière ou d'une autre. D'ailleurs, les codes du genre sont à nouveau détournés : ici, le grand propriétaire terrien n'est pas un tyran faisant parler la poudre pour imposer sa loi. Au contraire même, Parrish y exprime tout son dégoût de la violence, apparaissant comme un trauma dont on ne veut plus dans ses terres (reprenant presque l'idée du trauma violent de Gregory Peck dans La Flamme pourpre). Dans cette même continuité, les scènes de romances ne sont pas montrées, et pourtant tout se fait naturellement, les personnages y gagnent même en profondeur.
De la même manière que dans les westerns plus tardifs de Sam Peckinpah, la grande beauté du film contre-balance formidablement bien la dureté du récit. L'histoire prend place dans des vallées superbement bien photographiées en technicolor scope, ce qui confère à Libre comme le vent un superbe caractère mélancolique et contradictoire, tenant son paroxysme dans un duel final au milieu d'un champ de fleurs. Encore une fois, Parrish renverse une ultime fois les codes dans son dénouement, juste et osé.
Cerise(s) sur le gâteau : la splendide composition d'Elmer Bernstein, par ailleurs introduite par une chanson interprétée par Julie London, sublimant des acteurs finement dirigés. Cassavetes est délicieux dans ses élans de folie, portés par une interprétation finalement très moderne, représentative de la fureur et de l'audace de Robert Parrish. C'est un western qui doit être découvert par les aficionados du crépusculaire, une vraie petite perle du genre.