Licorice Pizza commence sur des jeunes se repeignant des tignasses impossibles devant les miroirs des toilettes bondées d'un lycée. Puis d’un coup, en second plan, un jaillissement d’eau fulgurant éclate, l’oeuvre d’une connerie de lycéens plus ou moins prépubères qui, dans l’immédiat, colle à la peau de Licorice Pizza une ambiance teen movie 70’s.
Pourtant le film développe très vite une autre ambition narrative. Gary Valentine (Cooper Hoffman) tombe amoureux d’Alana Kane (Alana Haim), une fille d’environ 10 ans son aînée. Le film ne rejoue peut-être pas « Le Lauréat » mais s’émancipe un peu de la romance adolescente pour devenir une romance entre deux âges où chaque rebonds sentimentaux et fragments de vie nourrissent un peu plus le rapprochement amoureux de ces deux « presque hors-la-loi ».
De fil en aiguille, Alana et Gary glissent d’une scènette à une autre, comme on passe d’une attraction à la suivante dans un parc à manèges. Le film devient alors assez dense à suivre. Une sensation de parc à thèmes qui trouvera son pinacle dans cette scène où un gros camion à sec d’essence dévalera les pentes californiennes. Il y a même un instant où, reprenant de la vitesse, l’engin laissera entendre dans nos oreilles les cliquetis de montagnes russes en passe de se laisser aller à la gravité la plus totale. Cette construction des plus triviales pour un PTA pourra faire peur sur le papier. Pourtant le film nous détourne vite de cette crainte. Déjà les détails fourmillent dans les décors (comme la mise en scène de cette pénurie d'essence), donnant à l’ensemble un cachet d’époque qui aura valu le détour du regard. Ensuite l’humour en quantité, non pas marvelien même si PTA a expliqué adorer (à l’inverse de Scorsese) suivre ce feuilleton d’attractions de super-héros avec sa famille, un humour parfois plus obscur au détour d’expressions impossibles à traduire dans les sous-titres, mais un humour hilare tout de même assez frontal dans l’ensemble (par exemple la judéité de la famille d’Alana ou encore son audition briefée par Gary) avec même des blagues à rebours à faire pouffer les plus apathiques (celles entourant ce gérant de restaurant qui avouera -ce qu’on avait tous deviné- qu’il ne parle pas un traitre mot de japonais).
On aura vite fait de voir en Licorice Pizza une certaine relâche cinématographique pour PTA. Et pourtant chez lui, un relâchement a tout de même meilleure mine que ce que d’autres mettront mille efforts à accomplir. Et le fond de cet amour, aussi anodin qu’il soit, a pour force de dépeindre une idylle entre un garçon nourri d’idéaux et d’aspirations empruntées et une fille rassurée par l’amour clé-en-mains qui s’offre à elle. Donc deux êtres aussi imparfaits que l’on puisse être, nourrissant un amour qui n’aura pas la pureté du diamant mais l’innocence des personnes sortant de l’adolescence (sortie précipitée pour Gary et sur le tard pour Alana). Vivront-ils ainsi une romance californienne à mille lieux d’être tragique mais qui pourrait nous évoquer celle que nous avons peut-être tous déjà vécue, la vallée de San Fernando en moins.
Au-delà de cette relâche qui dérangera ou ne dérangera pas, PTA se laisse aller à une véritable récréation personnelle. Si sa femme Maya Rudolph trouve son petit rôle en agent de casting, il infuse d’autant plus d'éléments de ses vies personnelle et artistique dans le bouillon 70’s qu’il concocte. Alana Haim et toute sa famille sont dans le film, PTA clippant depuis plusieurs années les musiques du groupe Haim composé des trois soeurs. Leur mère ayant elle-même donnée des cours d’arts plastiques à PTA à l’époque où il avait quelque chose comme 7 ou 8 ans. Ensuite Cooper Hoffman, le fils de Philip Seymour Hoffman, à qui PTA aura la délicatesse en hommage de ne pas donner de père à son personnage de Gary. Les deux nouveaux acteurs sont deux petites révélations qui ne se frayeront peut-être pas un chemin dans les grosses productions hollywoodiennes, adeptes de physiques super-héroïques et de personnalités lissées au possible, et c’est tout ce que je leur souhaite. Car les voir dans des films de l’acabit de Licorice Pizza est un enchantement qu’il me tarde de renouveler. Ajoutons les caméos imperceptibles de John C. Reilly (grimé notamment en Frankenstein qui demande à des gamins de dégager le plancher). Aussi, le titre de Licorice Pizza est un élément inspiré des souvenirs de PTA. Le titre de travail du film était pendant un moment Soggy Bottom, en référence à l'entreprise de "waterbeds" développée par Gary. PTA le changera pour le nom d’une chaîne de distribution de vinyles (Pizza à la réglisse si on traduit) aujourd’hui fermée et qui chez lui évoque la même nostalgie que les mistral gagnants chez d’autres.
Nostalgique, le film se retient pourtant de l’être à part entière. Parce qu’au delà de la gaudriole, PTA met en scène des réalités qui aujourd’hui sont entendues et souhaitées comme dépassées (par exemple les mains aux fesses de vieux croutons à de jeunes filles en petits shorts). Il y a aussi cette dernière scène où un couple homosexuel vit dans la peur d’être découvert, du moins pour l’un des deux. Une époque également où les policiers se permettaient d’autant plus d’attraper quelqu’un à la volée pour le mener au poste. Ce rejet de la nostalgie aveugle d’une époque, où plutôt cette nostalgie sélective, déleste ainsi le film d'une artificialité qui aurait pu facilement le lourder et l'affubler d'une inconséquence sans charme.
En construisant de l’anodin avec de l’anodin, PTA embrasse une façon plus triviale de faire du cinéma. Mais ce qui est trivial n’en est pas moins joli et attendrissant (le serait-ce même d'autant plus ?). Certes, une fois que la barre de sécurité se relève et que vient le temps de s'arracher à cette enivrante attraction amoureuse, on se prend à vouloir rapidement son prochain film, que l’on souhaite d’une ambition plus lourde. Pourtant Licorice Pizza ne s’inscrit en rien comme une entrée décevante et inconsistante dans sa filmographie. Une entrée plus mineure, sûrement, qui se paie tout de même le luxe de la double révélation Alana Haim/Cooper Hoffman. Et c’est pas souvent, si ce n'est plus du tout, que le cinéma nous sort de tels talents de son chapeau.