Inattendu de Paul Thomas Anderson (bien que l'on soit habitué aux bonnes surprises de sa part) : un voyage dans le Los Angeles des années 70 post-hippies comme Tarantino a pu le faire il y a plus de deux ans. Pourquoi faire ce film finalement, s'il existe déjà ? PTA a hésité, puis, s'est laissé embarquer dans son histoire, celle d'un couple qui n'en est pas un, qui ne peut pas en être un puisque Alana est de 10 ans l'aînée de Gary. Les deux font bien la pair, mais l'écart de maturité et d'expérience livre un parcours en dents de scie pour cette relation hors du commun.


Il y a quatre ans maintenant, Paul Thomas Anderson réalisait un de ses plus beaux films, sur une relation aussi fragile (déjà) que sublime, où la souffrance était source de création et de stabilité. Ce film était Phantom Thread. Aujourd'hui, changement brutal de ton. Le film paraît presque léger, il l'est, et récréatif, il ne l'est pas. Car derrière ces pérégrinations que tout adolescent a sans doute pu faire dans sa vie, le paysage social américain se redessine, avant de rentrer dans la crise de 1973. Et c'est bien là l'originalité et le point fort du film. Paul Thomas Anderson fait et a toujours fait du Paul Thomas Anderson. Très glos plans sur des visages serrés, des personnages bouillonnants toujours prêts à exploser, plans séquences audacieux mais qui acceptent la mesure (toujours juste) de la coupe, on reconnaît ce qui a fait la force majeure de There Will Be Blood et de son précédent film. Mais ici, c'est comme si tout était filmé à hauteur d'enfants. Contre plongée pour filmer des adultes ridicules, mauvais parents, mauvais japonophiles, des flics impressionnants de brutalité mais qui gardent la tête hors champs, et enfin, un amoncellement exceptionnel de camions et de voitures sur les routes, faute de carburant (1973...) qui prête plus à rire qu'à dramatiser.


Les amours d'Alana et Gary semblent ancrées dans un contexte destiné à les perdre. Ils se quittent et renouent à plusieurs reprises dans le film, ce qui laisse le temps d'explorer plusieurs tranches de vie, faisant penser à certains qu'il s'agit d'un film choral, alors qu'il n'en est pas vraiment un. Le sujet est bien la jeunesse, un écart de génération qui vient s'effacer naturellement à mesure que le récit avance. Puis, c'est la perte de la jeunesse, celle d'une Amérique qui s'apprête à rentrer dans l'ère Reagan, une Amérique où il ne sera plus aussi facile de se relever de ses échecs à l'instar de Gary, une Amérique avec moins de légèretés, annoncée dans chaque bas-côté de la mise en scène, ces zones d'ombre que le scénario ne détaille pas mais qui restent présentes comme un présage bien amer.


Licorice Pizza était un magasin de vinyle, dont le nom est sans doute dû à la forme circulaire et à la couleur de ce dernier. Un fait subtilement rappelé par Alana dans le film : le pétrole, c'est ce qui sert à produire du caoutchouc. Qui dit crise du pétrole dit faillite de leur entreprise et commencement des désillusions. Le pétrole, c'est aussi ce qui sert à produire le polychlorure de vinyle, constituant essentiel... du vinyle. Le disque s'arrête de tourner, la fête est finie. Mais le film ne se terminera pas sur cette note. Il consolide presque naïvement un happy ending qui peut paraître maladroit, mais qui fait en réalité le choix de fermer les yeux pour garder les derniers sons des seventies. Une réussite majeure.

jeremstym
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le 17 janv. 2022

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