Rappelez-vous : une rencontre amoureuse singulière, pas évidente au départ, deux êtres un peu en décalage, la vallée de San Fernando, des personnages périphériques hauts en couleur et emmerdeurs sur les bords, des situations parfois absurdes, des business plans hasardeux, et l’amour qui triomphe à la fin. Et si Paul Thomas Anderson nous avait déjà raconté ça, il y a vingt ans, et en mieux ? C’était Punch-drunk love, son plus beau film, que Licorice pizza se permet de décalquer en plus long (quasiment une heure de plus) et en se décalant dans le temps, passant du début des années 2000 aux seventies. C’est que tout se recycle, on va dire, et donc tout se retrouve, mais rien ne surprend, finalement.
Reprenons. Gary Valentine tombe gaga d’Alana Kane au premier regard. Il est trop jeune (15 ans), elle se trouve vieille (25 ans). Il est sûr de lui et entreprenant. Elle se cherche et veut croire que tout est possible. Lui voudrait bien ; elle refuse de sortir avec lui. Ils traînent ensemble et on sent qu’un truc se passe, les sentiments souvent affleurent. Sur leur chemin, que de péripéties, et une Amérique qui s’emballe (capitalisme en plein essor, célébrités fêlées…) et se ramasse (crise pétrolière, guerre du Vietnam…). Qu’importe, ces deux-là avancent droit devant, courent beaucoup, se querellent, se rendent jaloux, se désirent, finiront bien main dans la main.
D’ailleurs la concrétisation de leur amour, comme dans Punch-drunk love, arrivera à cet instant précis où, s’avançant l’un vers l’autre, que ce soit dans le hall d’entrée d’un hôtel à Hawaï ou, comme ici, devant un cinéma projetant Vivre et laisser mourir, un choc entre les deux se produit les faisant tomber dans les bras l’un de l’autre. Pour (en) finir, une dernière réplique (le "Salut toi" d’ici renvoyant au "C’est parti" de Punch-drunk love) viendra ouvrir le film sur un futur amoureux qu’Anderson nous laisse évidemment le soin d’imaginer. Gary et Alana, Barry et Lena, même combat (en plus d’une ressemblance criante dans les prénoms) : s’affranchir de ses limites et des empêcheurs de tourner en rond (et il y en a ici) pour pouvoir roucouler en paix.
L’impression que Licorice pizza, comédie sentimentale cherchant à raconter son époque, ne propose absolument rien de nouveau en général (teen movie éternel aux volutes nostalgiques) et dans l’œuvre même d’Anderson (Punch-drunk love est donc déjà passé par là) est coriace, en plus de souffrir de longueurs venant entraver la bonne marche du récit (quitte à "refaire" Punch-drunk love, en retrouver la fulgurance était-il plus adapté ?). À défaut d’être complètement sous le charme, embarqué à la folie dans ce marivaudage ado sous influence american dream, on se consolera en savourant les interprétations rafraîchissantes d’Alana Haim et de Cooper Hoffman, belles découvertes éloignées des standards physiques habituels où s’agitent bellâtres et bimbos (et ça fait du bien), et en admirant la virtuosité totale de la mise en scène (mais ça on le savait depuis un moment : Anderson, même en mode mineur, est bien l’un des grands cinéastes de ces vingt dernières années).
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