Un jeune homme de 15 ans, Gary rencontre et séduit Alana, une jeune femme de 23 ou 25 ans (on ne saura jamais vraiment) qui travaille dans son lycée.
Le schéma de départ est intriguant de part cette différence d’âge à rebours du traditionnel « homme âgée/femme jeune ».
Autre point à noter, les deux acteurs principaux n’ont pas une beauté archétype : ils ont des visages qu’on a peu l’habitude de voir au cinéma. Ils ne sont pas tout lisses ou symétriques.
Malheureusement la suite du déroulé du film sera plus que problématique et très classique dans le mauvais sens du terme.
Ce qui m’a le plus posé problème c’est le traitement qu’à réservé Paul Thomas Anderson à sa personnage principale.
Rappelons le, c’est lui qui a créé ce personnage et qui lui fait vivre ce qu’il a envie qu’elle vive, vous comprendrez plus tard le pourquoi de ce rappel.
Alana est indiquée comme la personnage principale du film.
C’est une jeune femme mal dans sa peau. On le comprend notamment par ses excès d’ironie lorsque Gary lui fait des compliments (comme si on ne pouvait pas vraiment être intéressé par elle ou l’aimer); ou par ses accès de colère envers sa famille et ses soeurs qu’elle accuse de ne pas la prendre au sérieux.
Malgré son caractère intense et complexe à aucun moment du film on nous proposera de comprendre l’intériorité du personnage ou ses émotions réelles. Alana gardera sa carapace tout le long du film. Elle devient donc vite assez agaçante puisqu’on la voit crier et s’énerver sans qu’aucune piste de compréhension ne nous soit proposée.
Durant toute la durée du film Alana ne sera définie et valorisée que par le regard des hommes, elle n’a pas de valeur ou de rêve propre.
Tout d’abord, avec le personnage de Gary Valentine.
J’ai trouvé le traitement de leur relation particulièrement odieux dans le film.
Gary est une sorte d’enfant-star, vedette de TV-show, très à l’aise avec sa personne (il est chez lui partout). Il n’hésite d’ailleurs pas à dire qui il est quand il est question de séduire (et les filles le connaissent toutes).
Alors qu’Alana est de 8 ou 10 ans son aînée, elle est très loin de prendre l’ascendant sur la relation qu’elle entretiendra avec Gary.
Alana n’a pas de désirs propres, elle ne sait pas ce qu’elle aime, veut ou souhaite faire de sa vie. C’est un personnage complètement passif qui ne se questionne pas sur qui elle est.
Gary au contraire est plein d’énergie et de projets, et n’arrête pas de vouloir se lancer dans des business tous plus loufoques les uns que les autres (vente de matelas à eau, projet du magasin de flipper…).. Gary entraîne Alana dans ses projets et celle-ci devient très vite son associé.
Au début du film, Alana assure qu’ils ne sortiront pas ensemble, pourtant on comprend très vite que celle-ci ressent plus que de la simple amitié pour Gary.
Gary, présenté au début du film comme un ado sympa et plutôt atypique se révèle être assez vite un manipulateur et une personne beaucoup moins innocente qu’il n’y parait.
« J’ai trouvé la femme avec qui je vais me marier » dit-il à son frère en parlant d’Alana au début du film
Pourtant, très vite, Gary séduira sous le nez d’Alana d’autres filles et ne lui sera pas fidèle.
Durant toute la durée du film, Gary et Alana « testerons » leur relation en attisant mutuellement la jalousie avec des partenaires divers. (ils s’observent et s’épient en permanence). Alana dit ne pas vouloir sortir avec Gary car c’est un « petit », un « minus » mais pourtant elle reste complètement accrochée à lui.
On apprend que Gary demande régulièrement des faveurs sexuelles à d’autres filles (la serveuse dans le restaurant japonais) et qu’il a déjà une vie sexuelle bien remplie. Il insiste plusieurs fois pour voir les seins d’Alana, ce que celle-ci finira par faire rageusement (en d’autres termes, elle cède à ses avances, mais ne consent absolument pas).
Cet évènement plus que problématique ne sera par la suite jamais traité dans le film, ainsi que beaucoup d’autres.
Le corps d’Alana ne lui appartient manifestement pas (main au cul du photographe au lycée, pas de réaction ? ah ? Sérieusement ?…) mais c’est le cas du corps de toutes les femmes dans ce film. Lorsque Alana dit qu’elle montrera ses seins si cela peut lui apporter un rôle dans un film (traduction = je fais ce que je veux de mon corps) Gary lui hurle dessus en lui disant qu’elle n’a pas le droit de montrer ses seins si lui ne peut pas les voir (traduction = tes seins et ta personne m’appartiennent).
Ce n’est jamais Alana qui prend le contrôle de sa vie sentimentale ou sexuelle, elle est à la merci totale de l’intérêt que les hommes peuvent lui porter. Ce n’est pas les filles qui draguent Gary, c’est Gary qui les emmène derrière pour les embrasser ou qui les invite au restaurant. Ce n’est jamais Alana qui propose un verre ou un date, elle se contente d’accepter.
D’ailleurs, Alana n’a pas d’amiE (=les filles ne sont pas amies, elles sont uniquement des rivales comme tout le monde le sait) et l’UNIQUE discussion du film entre deux filles (Alana et sa soeur) a pour sujet Gary.
Paul Thomas Anderson ne semble pas se rendre compte qu’il met en scène la comédie du patriarcat.
Toutes les relations qu’à Alana avec les hommes sont problématiques.
Non, ce n’est pas normal à 25 ans de sortir avec un adolescent de 15 ans (et l’inverse non plus!!). Mais on dirait presque que le réalisateur s’est servi de cette situation anormale pour ensuite essayer de nous faire avaler et accepter le fait qu’Alana sorte et se fasse séduire par un homme de 60 ans. (= mais arrêtons de banaliser cela, bon sang!)
Anderson ne semble pas non plus se rendre compte qu’il met en scène la problématique de l’abus de pouvoir puisqu’effectivement Alana est séduite uniquement par des personnes connues ou reconnues comme influentes. Gary est une star de TV-shows, Sean Penn est un acteur et producteur connu qui potentiellement peut donner du travail à Alana, et le dernier, Joel Wachs, est un homme politique. À l’heure post-me too où on a beaucoup analysé les enjeux de pouvoirs et d’influence c’est presque hilarant de voir à quel point Anderson a reproduit ces schémas.
L’unique homme avec qui il serait normal qu’Alana sorte (son ancien compagnon de classe qui l’introduit dans le parti politique) sera mis au second plan et écarté lorsque Alana recevra un appel du chef du parti politique.
Tous, TOUS les hommes dans ce films sont problématiques.
Je pense notamment aux personnages secondaires comme celui du mari de Barbara Streisand, immonde hippie sous coke qui n’hésite pas à dire que toutes les femmes lui appartiennent, il n’aura d’ailleurs qu’à se servir en embrassant Alana sans son consentement dans le camion.
Le seul et unique personnage qui fera questionner Alana sur sa relation avec Gary et qui lui demandera s’il se comporte mal avec elle est un homme gay. Ce choix est bien ironique quand on sait que dans un monde patriarcal, les gays ne sont pas considérés comme de vrais hommes. Selon Anderson, c’était donc le seul personnage de sexe masculin qui pouvait dire à Alana « les hommes sont des connards ». Ah bon ? La fraternité entre hommes est-t’elle si forte qu’aucun d’eux ne réagira?
On passera d’ailleurs également sur le traitement et la représentation des gays dans le film : ils sont caricaturaux et pleins de manières comme le majordome de Bradley Cooper (Jon Peters dans le film) ou alors cherchent évidemment à se cacher comme le politique Joel Wachs.
Quel est le discours du film (=ce qu’il veut dire sur le monde qu’il décrit) , quel est son sens à part de dire que les femmes ne sont définies que par le regard et la validation des hommes ? Qu’Alana a si peu de valeur qu’elle se fait manipuler par tous, même par un enfant ? Ce qui est d’autant plus vicieux c’est qu’Alana est plusieurs fois présentée dans le film comme une personnage « forte », qui « ouvre sa gueule », alors qu’on se rend compte qu’elle n’est absolument pas maîtresse de ce qui lui arrive.
Il ne suffit pas de faire gueuler une fille pour s’émanciper du patriarcat.
Le film transporte également une vieille odeur de racisme et d’antisémitisme pourri.
On n’arrête pas à rappeler à Alana qu’elle est juive, qu’elle a un « nez » de juive.
On lui dit « tant mieux », les juifs sont à la mode en ce moment. Celle-ci finira d’ailleurs par l’intégrer comme une marque d’identité importante et dira par la suite à un potentiel recruteur « Je suis juive », au cas où il n’aurait pas remarqué. (que j’interprète personnellement comme une ré-appropriation de l’antisémitisme qu’elle subit : si elle le dit avant, on ne pourra pas la chambrer).
On continue à voler très bas en niveau avec les personnages d’épouses japonaises.
Un ami de Gary (un vieil homme blanc) est en couple avec deux japonaises successivement.
On comprend qu’il ne parle pas le japonais et ne cherche pas à communiquer ou comprendre ses épouses (traduction = ces femmes ne sont donc pour lui que des objets sexuels). Quand il communique avec elles, il pousse des cris ridicules (c’est donc ça le japonais?) et imite minablement leurs accents.
D’ailleurs le réalisateur a fait le choix de ne pas sous-titrer les passages où les japonaises parlent (on comprend = ce n’est pas digne d’intérêt, de toute manière elle baragouine une langue incompréhensible non?).
Encore ici, on plonge dans un racisme puant ordinaire. Les femmes ont des prénoms ridicules (Mikado, Kimono?) et elles sont interchangeables, car c’est bien connu les asiatiques se ressemblent toutes. (et au générique elles seront bien évidemment présentées en split-screen, côte à côte comme pour accentuer cela)
L’homme dira qu’il s’est « débarrassé » de sa précédente épouse japonaise, et est désormais avec une fille beaucoup plus jeune. (évidement)
Les japonaises sont vues avec un prisme complètement occidentalo centré.
Pour leur habits, elles portent évidemment des kimonos car on le sait c’est comme ça que toutes les japonaises s’habillent.
L’unique autre personnage non blanc est une vendeuse noire dans une boutique qui est une caricature de la potiche sexy, uniquement là pour exciter le regard de Gary (et sexy, on s’entend, c’est bien évidement en mini jupe talons et avec une perruque de cheveux européens).
On pense d’ailleurs au moment où Gary dit à Alana d’être plus sexy si elle veut réussir à vendre des matelas aux clients. Plus tard, à l’ouverture de la boutique de matelas, Alana passera sa soirée en maillot de bain. Ce qu’on nous dit ici, c’est que le corps des femmes fait vendre et qu’il faut donc l’objectifier pour servir le regard des clients (belle leçon de modernité du réalisateur ici).
Toutes les femmes dans ce film sont reléguées à la place d’objets sexuels à la merci du désir des hommes.
CONCLUSION
Le vrai problème avec ce film c’est qu’on se rend bien compte que rien n’est remis en question et je met ma main à couper que toutes les énormités que j’ai décrite sont complètement inconscientes.
On sent que c’est intégré comme la normalité pour Paul Thomas Anderson.
Quand on sait l’ÉNORME pouvoir qu’on les images sur notre propre rapport à notre place dans le monde, sur la construction de nos représentations c’est absolument scandaleux de pouvoir proposer encore aujourd’hui ce personnage de femme.
Les filles, adolescentes et femmes ont besoin de modèles, de personnages, d’histoires qui leur montrent qu’elles peuvent être maîtresses de leur destin, qu’elles ont autre chose à faire que de subir la tutelle des hommes desquels elles ne doivent plus jamais dépendre. On a besoin de personnages féminins qui ne se laissent pas faire et définir par leur regard des hommes, besoin de femmes qui réagissent lorsque leurs frontières et leurs limites sont dépassées.
Une adolescente qui voit ce film et qui naturellement voudrait s’identifier au personnage d’Alana apprend donc que se prendre une main au cul est normal et que dîner et se faire draguer par un papi est désirable. Et quoi de plus ironique qu’une fille de 25 ans se fasse avoir par un gamin de 15 ans, car ici n’importe quel homme, même un garçon de 15 ans peut manquer de respect à une jeune femme.
Les réalisateurs ont une responsabilité dans les images qu’ils donnent à voir.
Bref, il est peut-être temps de prendre ta retraite mon cher Paulo car les images et la manière que tu as de dépeindre ton monde ne sont pas seulement caricaturales ou imbéciles, mais profondément nocives et dangereuses.
PS : Ma critique doit bien avoir une fin, j’ai donc fait le choix de n’aborder que quelques parties, mais sachez que l'entièreté du film véhicule des représentations toutes plus sexistes, machistes, racistes les une que les autres. C’est une caricature du male gaze.