Disparu en 2013, Roger Ebert fut, avec Pauline Kael, le plus renommé des critiques, un de ceux qui a élevé le cinéma vers quelque chose de plus grand. Le documentaire retrace sa vie, avec comme fil rouge ses derniers mois, rongé par la maladie, mais il en ressort comme un message d'espoir, je dirais presque la fureur de vivre de cet homme.
On a droit à de nombreux archives, de ses débuts (où la vision de Bonnie & Clyde lui a donné envie d'être un critique) à ses émissions avec Gene Siskel, en passant par son alcoolisme, son caractère difficile, et enfin l'amour de sa vie, Chaz, son ange gardien.
Durant le documentaire, Ebert savait qu'il ne finirait pas le film, mais il garde malgré ça une certaine sérénité, malgré ses difficultés (il n'avait plus de mâchoire inférieure, et devait se nourrir à l'aide d'une paille, ce qui a l'air de le faire souffrir), au point que son ordinateur reste son unique moyen de communication, que ce soit son blog (où il écrira des critiques jusqu'au bout, son dernier film visionné sera A la merveille), ou par un logiciel qui reproduit avec une voix synthétique ce qu'il veut dire, aussi bien au réalisateur qu'à sa femme.
Le documentaire est très intéressant sur la conception de la critique en Amérique, où Ebert sera l'un des premiers à mettre en avant des auteurs face au grand public (comme Ingmar Bergman ou Werner Herzog, lequel lui rend un hommage appuyé dans le film) ou des réalisateurs confirmés. L'émotion de Martin Scorsese, au bord des larmes, est clairement visible, mais il est dommage qu'il y ait si peu de réalisateurs interviewés pour savoir ce qu'ils pensaient des critiques d'Ebert sur leurs films.
Roger Ebert était énormément présent dans l'espace médiatique, que ce soit à travers ses émissions (en particulier avec Gene Siskel), ses critiques dans le Chicago Times ou sur son blog, les archives sont très nombreuses, y compris dans sa jeunesse.
J'ai beaucoup apprécié aussi l'absence totale de langue de bois de ses collaborateurs, de sa femme ou de lui-même, revenant sur son ego, son caractère soupe-au-lait ou encore son passage chez les alcooliques anonymes. Il en ressort un homme complexe, mais dont on dirait que son corps est constitué de pellicules, car cet homme aimait le cinéma comme rarement. Notons quand même qu'il a eu un prix Pullitzer et son étoile sur Hollywood Boulevard, ce qui est unique pour un critique de cinéma !
La fin, consacrée justement à la disparition progressive de Roger Ebert, est très émouvante, car on le voit dans ses derniers jours revenir à sa maison, puis retourner à l’hôpital, sans que le réalisateur puisse le filmer une dernière fois, les docteurs lui ayant interdit. Son dernier message concerne également nous, critiques amateurs, qui écrivons aussi bien sur Sens Critique que Vodkaster ou d'autres ; la multiplication des points de vue sur un film. Il avait recruté une équipe de jeunes critiques, qui ont désormais pris la suite sur son site, mais il était ravi de voir ce progrès apportés par les réseaux sociaux, dont il fut un fervent utilisateur.
J'ai surtout connu Roger Ebert par les nombreux "two thumbs up !" présents sur les dvd zone 1, où cette expression était presque devenue un argument marketing. En visionnant ce film, par ailleurs bien filmé et qui évite une certaine forme d'impudeur malgré l'état physique d'Ebert, j'y vois comme un vibrant hommage à un critique mais surtout à un cinéphile en diable.
Quelque part, nous sommes des enfants de Roger Ebert...