Elle déambule nue dans les couloirs d'un laboratoire militaire. La lumière vient épouser les formes prononcées de son corps. A sa vue, les soldats censés la garder oublient jusqu'à leur nom. Elle est le vampire tel que Bram Stocker l'a décrit. Celui qui fait chavirer autant les personnages que le lecteur, ou en l'occurrence le spectateur. Avec une grâce infinie, elle ouvre une œuvre qui lui fait la part belle jusque dans ses derniers instants, alors même qu'un chaos total fait rage. Ses apparitions troublent, sa violence surprend, son charme opère, on se dit alors que l'on aurait bien du mal à outrepasser sa possession ténébreuse pour en venir à bout. Mathilda May hante le film. Elle est ce méchant envoûtant que l'on préfère largement face aux fades gentils. Celle qui illumine un scénario schizophrène, bancal, traversé par le génie comme par la bêtise et que beaucoup n'ont retenu que pour la belle et sa poitrine.
Il faut dire que Tobe Hooper la met très bien en lumière. Quand sa caméra s'attarde sur Mathilda il fait preuve de douceur. On dirait que ses travellings caressent la peau de l'actrice lorsqu'elle est endormie dans son cercueil de verre. C'est beau. Elle est belle. On découvre un réalisateur bien différent de celui qui a orchestré les folies visuelles de deux Massacres à la Tronçonneuse et d'un Crocodile de la Mort. Un Hooper qui a semble-t-il apprécié son expérience sur Poltergeist, film qui regorge de travellings et de plans à la grues exécutés avec un art certain. De là à penser que côtoyer Spielberg aura eu son petit effet il n'y a qu'un pas. Toujours est-il que ce Hooper là dénote mais montre une finesse rafraîchissante alors même qu'il filme une femme nue. Si les apparitions de l'actrice française sont si célèbres aujourd'hui c'est en grande partie dû à ce changement radical opéré par un cinéaste certainement en quête d'un public plus large après le succès de Poltergeist. Tout en restant dans le cinéma fantastique.
Quoi de mieux alors qu'adapter Les Vampires de l'Espace de Colin Wilson pour ça ? Un roman qui mêle le mythe du vampire avec de la science-fiction hardcore. Avec une telle base, le réalisateur de Salem pouvait laisser libre cours à toutes ses envies de cinéma. Filmer une succube somptueuse ? Check. Tourner une intro spatiale à la Alien ? Check. Illustrer une apocalypse urbaine ? Check. Enfin faire un film avec des vampires (et maladroitement des zombies) ? Check. Lifeforce apparaît un peu comme un fourre-tout d'envies diverses. Il est à penser que Hooper avait tout simplement les mêmes désirs de cinéaste que Wilson en tant qu'écrivain. Et le moins que l'on puisse dire c'est qu'avec un budget de 25 millions de dollars alloué par la cultissime Canon, il s'en sort bien. Le film débute sur un voyage spatial très tranquille traversé de mystères. Plus les protagonistes progressent vers leur propre fin, plus l’œuvre déploie des trésors de direction artistique. Impossible de ne pas penser au classique de Ridley Scott tant les similitudes s'amoncellent (Dan O'Bannon a participé à l'écriture des deux films). Mais l'ombre et la poussière du Nostromo et de LV-426 sont remplacés par des couleurs plus claires et tranchées, sorte de trip hallucinogène qui renvoie à une certaine SF des sixties. Hooper y intègre un suspense rare dans sa filmographie. Il prend son temps, prend le point de vue de ses personnages et prend plaisir à nous surprendre. Une introduction qui débouche sur la découverte de la flamme du film : Mathilda.
Si tout le reste se déroule sur Terre, le réalisateur parvient à ne pas rendre son œuvre déséquilibrée. Après un passage scientifique s'achevant par la fuite envoûtante décrite plus haut de notre vampire, s'en suit une course contre la montre afin d'empêcher que la succube n'absorbe toutes les âmes humaines vers son vaisseau en orbite. C'est là que Lifeforce flirte dangereusement avec la série Z. Londres se transforme en antichambre des enfers beaucoup trop rapidement et sans réelle transition. Sorte de mix entre La Guerre des Mondes et les films de Romero, le chaos prend des proportions bien trop spectaculaires que le département des effets spéciaux peine à illustrer sans dommages. Ils se rattrapent largement avec les prothèses et effusions sanglantes. De même on peine parfois à croire aux actions des personnages tant leur absence de charisme (et du coup leur surjeu pour compenser) ne joue pas en leur faveur. Il faut alors compter sur la générosité de ces actions pour garder notre intérêt intact. Oui car, comme vous l'aurez compris, dans son envie de brasser large le père Hooper a mis le paquet. La fin est à ce titre un sommet d'hystérie. L'excellent score de Henry Mancini s'envole, les effets spéciaux se lâchent, les acteurs sont en roue libre et l'on en ressort abasourdi. Tout n'aura été qu'une montée en puissance impressionnante, maladroite dès qu'il faut faire avancer le scénario, mais remplie à ras bord d'idées, de plaisir communicatif. L’œuvre d'un cinéaste précieux, amoureux d'un cinéma sensoriel et imparfait. Si Massacre à la Tronçonneuse constitue son chef d’œuvre, Lifeforce constitue une belle synthèse de sa carrière. RIP.