New-York. La nuit. Les vieux déchets à moitiés fondus sur les pavés laissent place à ceux qui le sont sur le goudron, les trottoirs disparaissent derrières d'énormes monticules de poubelles, les lumières délavées éclairent une ville défraichie et illuminent son visage, de blanc, de jaune, de rouge, pendant qu'il regarde les rues défiler sous ses yeux, à l'arrière de sa berline noir, propulsé dans le flot incessant de véhicules anonymes par un chauffeur mutique. Invisible.
Nous sommes quelque part au début des années 1990, et l'essence même de cette décennie suinte de chaque tenue, de chaque voiture, de chaque coiffure, de chaque bipper, de chaque cabine téléphonique, de chaque grain de chaque plan.
Comme toutes les autres nuits, John Letour, faux nom, vrai tronche, fait ses livraisons. Dans les discothèques branchées, les appartements huppées, les penthouses haut-perchés, les vieux magasins jamais fermés, ou les salles d'attentes d'hôpitaux bondées. Il récupère les informations précieuses d'une ville pernicieuse, écoute les riches défoncés se vider de leurs pensées sous les effets libérateurs de grosses inhalations psychotropes, les voit sombrer, lentement, jusqu’au jour où, seul, après avoir perdu tout ce qu'ils avaient à perdre, ils le supplient pour une dose, rien qu'une dose, regarde ce magnat européen profiter d'une population droguée désemparée. Désespérée.
La journée, il erre, solitaire, dans cette même ville, ces mêmes rues, à ressasser une vie qui lui a doucement échappée, comme celle des toxicomanes qu'il rencontre toutes les nuits, comme la grandeur d'une ville qu'il parcourt depuis des années. Ou alors il remplit les pages de ses cahiers, enfermé dans le noir, à la recherche de réponses, d'une nouvelle direction, d'un sens à donner à son existence. De sa rédemption.
Il dérive. Il attend ce que la vie a à lui apporter comme il attend les coups de fils des clients pour aller les livrer. Il dérive. Jour après jour, et les années passent. Mais il sent sa vie tourner. Il sent un changement arriver, un changement qu'il est capable de faire. Il se sent changer, être capable d'être une bonnes personne. Quelle chance !
Alors il attend. Il attend cette chance et il croit la rencontrer quand il tombe sur une personne chérie d'un passé bénie. Une personne brisée d'un passé destructeur qui les conduit tous les deux vers le sort inévitable de destins évitables. Un sort qu'il sent se resserrer doucement autour de lui, pendant que les quelques accords de saxo qui l'accompagne se font plus tendus, plus lourds, plus pesants. Plus apocalyptique.
Jusqu'à cette nuit, cette fameuse nuit, où des années de dérives l'ont doucement conduit. Une nuit qui commence comme toutes les autres et qui se termine dans un appartement miteux.
Car les dealers meurent comme ils ont vécu, par la poudre.
Car les dealers trouvent leur rédemption comme ils ont vécu, par la poudre aussi.
Il trouve alors ses réponses, sa nouvelle direction, un sens à donner à son existence, sa rédemption. Elle était là, elle avait toujours était là. Là où il n'avait jamais regarder.
Juste à ses côtés.