Limbo
6.6
Limbo

Film de Soi Cheang (2021)

Soi Cheang renoue avec un cinéma sombre et âpre au scénario classique mais qui réserve quelques trouvailles filmiques aptes à rendre son ambiance bien noire et désespérée. Un binôme de flics en décalage, Cham (Gordon Lam) et Will (Mason Lee), à la poursuite d'un tueur en série (Hiroyuki Ikeuchi) et une victime collatérale Wong To (Yase Liu) naviguant à vue dans une Hong Kong déchue devenue un grand dépotoir à ciel ouvert.

L'intrigue vaut par sa narration sans temps mort et son montage parfaitement lisible. Un jeu de temporalités décalées et de chassés croisés tout autant brutaux qu'inattendus, et un portrait peu glorieux de la ville. La misère d'une population invisible au monde, soumise à la violence, à la prostitution et aux drogues. Les ruelles encombrées et jonchées de détritus qui s'entassent où des corps de femmes sont retrouvés, abandonnés dans un coin et que personne ne réclame. Soutenue par un noir et blanc presque criard qui soulignent la noirceur du récit, le plaisir sera visuel par la mise en valeur des décors, aux plans photographiques qui viennent jurer avec une ambiance crépusculaire voire apocalyptique. Hong Kong entre ville toute de lumière, grouillante d'activités, filmée de loin comme inaccessible et bidonvilles à hauteur d'homme, offre un contraste saisissant. Les scènes bien souvent de nuit, peu éclairées, venteuses et sous une pluie incessante renforcent la perte de repères et le sentiment diffus de danger immédiat, accentués par les ruelles labyrinthiques et les courses poursuites à l'aveugle. Une métaphore des chemins de traverses mentaux de personnages aux traumatismes passés ingérables et où la quête de rédemption passera par la violence.


On remarque évidemment Cham froid et imposant, psychologiquement atteint et adepte des solutions musclées, en regard du nouvellement promu, Will, au physique de bureaucrate et au respect des procédures, qui semble ne jamais être à sa place, constamment dépassé par les événements, mais qui nous ravira par de belles montées d'adrénaline. Wong To, pleine de bonnes intentions sera harcelée et persécutée, emprisonnée dans son bidonville, elle n'en finit pas de subir les coups acharnés de la police et des gangs. Personnage central à l'instar de Cham, l'actrice semble habitée et les scènes d'actions mettent en valeur sa faculté à saisir toutes les opportunités à sa sauvegarde, partagée entre culpabilité et rage de vivre, offrent quelques scènes de bruit et de fureur impressionnantes.


Et puis ce sont deux courses poursuites passant de l'une à l'autre, dans le même décor extérieur, aux ruelles presque identiques, fourmillant de détails et qui rejoint le climax et la maîtrise de la traque finale dans le bâtiment désaffecté du tueur, rempli d'objets en tout genre, où un nounours en peluche côtoie des mannequins désarticulés, enchevêtrés aux corps en décomposition, aux couloirs inaccessibles et aux placards servant de refuge approximatifs, pour suivre plusieurs actions simultanées, et rendre une tension des plus stressante. Les combats suffisamment longs, aux coups répétitifs, interminables et plein cadre participent à l'immersion, la caméra ne s'encombrant que très peu du hors champ pour parfaire son ambiance délétère. Soi Cheang évite brillamment tout effet facile ou de voyeurisme gore, laissant son cheminement faussement tranquille gagner en tension au fur et à mesure du récit.


Alors il est bien dommage que la scène d'introduction, vienne dans une certaine mesure, nous balayer la résolution, d'autant que Soi Cheang ménage son suspense dans une scène introductive et au départ, totalement incompréhensible, mais particulièrement bien amenée pour brosser son flic borderline.
Une histoire qui laissera quand même un sentiment diffus de frustration sur le final poussant son message jusqu'au-boutiste, où la culpabilité fera coup double et la quête de rédemption bien pauvre figure. De même on risque d'être déçu de la logique d'un tueur lui aussi en prise avec un traumatisme dont on à peine à saisir le rapport avec ses actes. Hiroyuki Ikeuchi n'en est pas moins impressionnant par son décalage au monde et d'autant plus inquiétant.


On salue Cheng Siu Keung à la photo, Kenneth Mak pour ses décors urbains et un coup de cœur pour Soi Cheang pour rappeler à notre bon souvenir l'ambiance bien poisseuse de The Chaser de Na Hong-jin.

limma
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le 26 sept. 2021

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limma

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