Limbo
6.6
Limbo

Film de Soi Cheang (2021)

Dans une ville désenchantée de la société contemporaine – la preuve, elle est filmée en noir et blanc et la dimension tragique de la pluie est soulignée en plongée – un flic buriné au méthodes expéditives est rejoint par un petit nouveau qui tient bien à l’empêcher de trop torturer les témoins, mais que voulez-vous ma bonne dame, dans cette mégalopole de la fin du monde jonchée de détritus, bien peu d’étincelles sont encore vivaces pour rallumer la flamme de la bienveillance.


Parce que Buriné a quelques traumas, genre sa fille et sa femme renversées par une chauffarde qui va devenir un témoin clé dans la traque d’un tueur sadique dont un lundi se résume à amputer des femmes à la pelle. Chauffarde a beau demander pardon à Buriné, rien n’y fait, et elle en prendra vraiment plein la face, d’autant qu’elle a à ses trousses sa team de gangsters qui lui revisiterait bien le portrait façon tartare. Le jeune a des lunettes, mais sa motivation n’entache pas ses propres casseroles, consistant à régulièrement se prendre la mâchoire dans la main pour extérioriser une douleur aigue l’obligeant à prendre force cachets, qui bien entendu finiront par manquer, soulignant l’héroïsme d’un fonctionnaire bravant les souffrance pour mener à bien sa mission, qui consistera, dans les ¾ du film, à fouiller dans les poubelles, pour retrouver des membres, des indices ou le flingue qu’il a perdu, et qui peut se trouver à peu près n’importe où dans le quartier, mais sait-on jamais, vidons ce sac de cannettes vides, sous la pluie, et dans la douleur.


Soi Cheang s’est dit qu’il allait faire un film graphique, et qu’on pourrait mettre des phrases du type « Une plongée asphyxiante en enfer » ou « Rien ne vous a préparé au choc Limbo » sur l’affiche, alors il a mis des ordures partout*, des séquences d’action assez bien filmées avec des gens qui se bastonnent dans tous les sens en mode The Raid, et un tueur qui aurait vu Se7en, mais une seule fois, en VHS et sans le son, et qui a donc patiemment bossé la déco de son repaire avec des milliers de gants et de bouteilles en plastique suspendus au plafond, des statues de vierges, des ralentis et une musique d’ambiance malaise.


Une enquête claquée (oh regarde, au milieu de la déchetterie, une trace de pas !) et des comportements stupides (je continue à courir sur la route quand une bagnole me poursuit) ponctuent donc un parcours jonché d’ordures, et filmé par une des leurs, ravi de bien s’attarder sur les amputations et un viol, histoire, sans doute, de faire monter les enchères.

N’allons pas croire que ce polar crépusculaire filmé comme Sin City n’est pas empreint de profondeur psychologique : le tueur n’est pas exempt de tendresse, puisqu’il caresse les moignons et regarde avec affection la photo de sa maman, en disant Maman pour qu’on comprenne. Aussi, quand Chauffarde sur le point d’être opérée sans anesthésie à l’aide d’une bèche non stérilisée, hurle le même mot, et ben croyez le ou non, ça lui fait quelque chose au pervers, un peu comme quand Batman vs. Superman se réconciliaient autour d’un bon Œdipe de derrière les fagots. Bon après, cette idiote lui arrache la photo alors il perd patience et tape partout avec sa pelle, même dans un animal empaillé qu’était là pour faire glauque et qui demandait rien à personne.


Après ça, ils veulent un apogée, alors tout le monde court partout, et les méchants se mettent des pelles, des grillages, des morceaux de verre et des poteaux coulés dans du béton sur la gueule, mais en s’enlaçant dans la violence parce qu’ils sont frères dans la haine, et que tout n’est pas si simple, le bien et le mal, et ben parfois, en fait, c’est réversible, si si. Chauffarde se planque dans un buffet de la déchetterie et PAR HASARD retrouve le flingue que tout le monde cherchait, et attend avec angoisse le retour de l’amputeur des chantiers, sans entendre que ça se fracasse sévère juste à côté, mais y’a trop de musique angoissante et de ralentis, alors ça se dilue dans la pluie. Buriné la cherche dans tous les buffets (et y’en a plein parce que les rues sont des décharges, on vous l’a déjà dit) et ne pense jamais à appeler Chauffarde, c’est plus drôle de lui faire la surprise en ouvrant la porte pour faire coucou c’est moi, je sais t’as buté ma famille mais j’ai changé, et tu as bien donné de ta personne pour m’aider à retrouver le psychopathe al… mais boum, surprise, quand il ouvre et ben elle tire, normal quoi, et donc il meurt en lui disant qu’il lui a pardonné au ralenti tandis que ses larmes à elle vont ajouter de l’eau à une chaussée qui n’en avait pas besoin. Parce qu’il pleut beaucoup.


Alors c’est tragique, et on se dit que merde, la vie est une décharge à ciel ouvert en noir et blanc sous la pluie*, et que s’il reste des justiciers prêts à se sacrifier pour entraver les perversions des sadiques, il reste des abrutis voyeurs prêts à les filmer avec complaisance.


*Rappelons, pour les amateurs de détritus en noir et blanc, qu’un film réellement impressionnant s’illustre dans cette catégorie.


Sergent_Pepper
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le 17 juil. 2023

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Sergent_Pepper

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