Maxi driver
Après avoir suivi la descente aux enfers de la Femme de Tchaïkovski, Kirill Serebrennikov embrasse une nouvelle destinée contrariée, celle d’Edouard Limonov, représentant d’une Russie en voie de...
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Après avoir suivi la descente aux enfers de la Femme de Tchaïkovski, Kirill Serebrennikov embrasse une nouvelle destinée contrariée, celle d’Edouard Limonov, représentant d’une Russie en voie de décomposition dans les heures troubles de la deuxième moitié du XXème siècle. Emmanuel Carrere en avait fait un portrait littéraire majeur (Limonov, en 2011), parvenant à concilier les contradictions d’un libre penseur autodestructeur à la décadence d’un système idéologique laissant se faisant progressivement dévorer par le capitalisme triomphant. Serebrennikov, fidèle partisan du pas de côté et des déséquilibres, résistera l’ample dissertation géopolitique pour rester en osmose avec un personnage insaisissable, jusque dans son rapport au temps.
Il faut donc prendre le fil narratif à la volée, et suivre cette déambulation principalement concentrée sur trois lieux : l’étroitesse carcérale de la Russie natale, dont va s’extraire Limonov en écartant les cloisons et le cadre de ses propres mains pour élargir le format sur l’aventure américaine, dans un New York des 70’s qui convoque une mythologie crasseuse et marginale telle que l’a dépeinte Scorsese dans Taxi Driver. La majeure partie du récit sondera dans cet environnement inhospitalier la vie d’un homme qui en fait son œuvre, contestataire jusqu’au bout, et prenant un malin plaisir à fustiger les lieux dans lesquels il s’incruste. L’occasion aussi pour Ben Wishaw de composer le rôle le plus intense de sa carrière.
C’est principalement cette contradiction qui intéresse le cinéaste, toujours inspiré par l’inadéquation entre un lieu, une époque et un individu. Les rockeurs de Leto, l’illustrateur fébrile de La Fièvre de Petrov ou l’épouse délaissée de Tchaïkovski exploraient les mêmes thématiques, transformant les décors en extensions symbolique d’un conflit permanent. L’occasion pour le réalisateur de transférer tout son travail opéré sur la mise en scène de théâtre et d’opéra sur la pellicule, au fil de séquences virtuoses et enthousiasmantes. Les transitions par papier collé, le mélange des formats, le passage du noir et blanc à la couleur accompagnent avec pertinence le parcours d’un individu extatique et insatiable, persuadé de trouver dans la violence et la destruction les véritables ébauches de sens.
En osmose avec cette incapacité à la stabilité, le récit fonctionne par soubresauts, et frustre volontairement certaines attentes, en occultant de nombreux chapitres de la vie de Limonov, et notamment ses dernières et très problématiques accointances, qui fascinaient tant Carrere. Serebrennikov ne cherche en rien l’exhaustivité, et semble asservir sa caméra aux frasques d’un trublion imprévisible, capable de fédérer la beauté formelle la plus sidérante (tout ce sommaire sur les années 80 à la manière d’une comédie musicale) comme le sordide le plus frontal. Cette détestation continue génère un rapport versatile aux lieux, à la fois investis et haïs, que ce soit aux USA dont on ponctionne les allocs, ou chez les intellectuels parisiens fustigés pour leur vanité. Comme le résume parfaitement Carrere le temps d’un caméo qui vise surtout à se faire éconduire par Limonov, In the West, everything is permitted but nothing matters. Here is the opposite : everything is forbidden, but everything matters. C’est cette contradiction qui nourrit cette ballade malade, dont l’épilogue travaillera encore davantage l’artificialité par un traitement médiatique qui semble tout salir comme une mise en scène dénuée de toute authenticité : les soubresauts pathétiques de ce baroud d’honneur laissent alors surgir quelques bribes de mélancolie noyées dans les cendres d’un parcours saturé d’éructations et de fureur.
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