Que deviennent les grands réalisateurs russes, en ces temps incertains ? Le prochain Zvyagintsev est pour bientôt, semble t-il (tourné en dehors de la mère-patrie) et Serebrennikov s'est attaché, lui, à la figure sulfureuse de Limonov, en s'inspirant plus qu'en adaptant le livre très personnel et incontestablement brillant d'Emmanuel Carrère. Lequel pouvait se permettre d'être un récit exhaustif, ce que n'est pas, loin de là, le film, qui passe notamment sous silence l'épisode embarrassant de la guerre en Bosnie. Le portrait du poète et voyou, entre François Villon et un personnage dostoïevskien, reste donc fragmentaire, en rebelle et nihiliste, plus qu'en exalté politique. En dépit de cela et d'une faute majeure, l'usage exclusif de la langue anglaise, qui sonne tellement faux dans les scènes russes, le long métrage a du souffle, un interprète remarquable (Ben Whishaw) et une virtuosité qui n'étonne pas, venant de l'auteur du sublime Leto. Si l'ensemble paraît, du point de vue narratif, souvent chaotique, c'est que la vie de ce héros/salaud l'a aussi été, de l'Ukraine à la Sibérie, en passant par New York, Paris et, bien sûr, Moscou. L’ambiguïté de cet agitateur, ou sa duplicité, est bien présente, dans une vie déjantée, qui est difficile à appréhender dans ses nuances, mais qui reflète les contradictions et la violence, réelle et idéologique, de la deuxième partie du XXe siècle et du début du suivant.