Edouard Limonov, un loser bisexuel, flamboyant, un personnage dostoïevskien, excessif, souvent incontrôlable, qui a eu mille vies, au cours de la seconde moitié du XXe siècle et les vingt premières années du suivant. Évidemment, résumer une telle existence sur deux heures et dix-huit minutes n'est pas une chose facile, voire possible. Et le réalisateur et compatriote du taré en question, Kirill Serebrennikov, n'y parvient pas réellement (ah oui, je précise que je n'ai pas lu le roman biographique, écrit par Emmanuel Carrière, adapté ici !). Le format mini-série aurait mieux fonctionné.
Alors, on commence avec notre énergumène, quand il est ouvrier d'usine en Ukraine, puis on enchaîne avec sa carrière littéraire à Moscou, puis comme assisté divaguant dans les rues de New York, puis comme majordome dans la même ville, puis comme turbulente gloire littéraire à Paris, puis, pour finir, retour dans la mère patrie, comme fondateur et leader incontesté d'un vaste groupuscule néofasciste, à qui sera offert un petit séjour au frais pour calmer ses ardeurs. Par-dessus tout cela, il est poète et écrivain.
Ouais, on se doute que ça ne représente que quelques échantillons de ce qu'a été son passage terrestre. Adoptant une mise en scène énergique, très rock 'n' roll, collant à merveille avec Limonov (il faut le reconnaître !), le réalisateur semble avoir pour ambition première de montrer l'évolution des sociétés, la portée des bouleversements politiques considérables, durant la longue période de temps sur laquelle s'étend le film. Reste qu'il aurait mieux fait de se concentrer principalement sur l'évolution psychologique de notre dégénéré. Et les grosses ellipses (cela dit, parfois mises en scène avec beaucoup d'imagination !) ne le permettent pas.
Cela aurait été intéressant de savoir comment il a pu devenir une figure littéraire connue sur la scène soviétique, avant que les autorités du pays le laissent se barrer chez l'Oncle Sam, de prendre au moins quelques minutes pour le montrer réagir face aux changements considérables en URSS et en Europe de l'Est lors des années 1980, qu'est-ce qui a pu le pousser à devenir le leader d'un groupuscule et comment il y est parvenu. Il y a des manques trop flagrants pour que ça ne soit pas gênant. De plus, l'ensemble n'évoque pas du tout (ou alors, dans le meilleur des cas, très vaguement et/ou très brièvement !) les agissements du groupuscule en question, comme pour éviter au maximum des questions qui fâchent, comme un moyen pour que le spectateur garde un minimum de sympathie (celle que l'on peut ne pas s'empêcher de ressentir à l'égard des losers !), jusqu'au bout, pour un gros connard loser qui est devenu un énorme connard loser.
Autre chose, autant pour les séquences new-yorkaises et parisiennes, c'est parfaitement logique (excepté quand le protagoniste est avec des gens de la même nationalité !), autant pour les séquences en URSS et ensuite en Russie, j'ai eu sérieusement du mal à entendre tout le monde parler la langue de Shakespeare au lieu de celle de Pouchkine. Cela enlève de la vraisemblance, de l'authenticité. Ça m'a fait sortir un peu à chaque fois du long-métrage. Bon, je me doute que c'est parce que l'acteur principal, Ben Whishaw (qui est excellent, je ne dis pas le contraire !) ne doit pas parler le russe. Je comprends, mais, compréhensif ou non, je trouve que ça handicape le tout.
Pour en revenir à la sympathie que l'on pourrait ressentir à l'égard de l'autre, pour l'occultation des questions fâcheuses, est-ce parce que le réalisateur, lui aussi exilé, n'a pas pu résister à l'envie de s'identifier à son sujet ? Vous avez quatre heures...