Alonso ne simule pas le documentaire : il fait tout ce que le genre ne montrerait pas. De cinématographique, il ne garde que le montage, & encore, seulement les coupures ; au sein d’un même plan, le temps ne doit pas être distordu & c’est bien ce qui rend Liverpool insupportable. S’il n’y a pas de film désagréable dans l’absolu, celui-ci fait de son mieux pour démontrer le contraire.
En revanche, le réalisateur a du génie quand il s’agit de faire ressentir non pas les sentiments du personnage, mais ceux de la scène : l’ambiance frise l’émotion pure & simple, comme une humanisation profonde de l’image. L’Homme dans son cadre est presque inanimé, passager apathique de son voyage immobile.
Apparemment faite d’air, d’inaction & de silences, l’œuvre devient furieusement analysable, intriquée & ouverte, essentiellement parce qu’elle ose faire une scène de six minutes d’un homme qui emballe ses affaires, ou qui mange, ou qui marche. Les mystères bêtement humains, à peine effleurés dont nous parle le film, resteront inaccessibles à tous les autres artistes comme au spectateur qui s’ennuie. Encore une fois, le réalisateur rend la critique complètement caduque, car il est en-dehors de tous les mondes de l’opinion légitime.
Le sujet se prête moins à ce traitement particulier que son Los Muertos, mais Alonso sait ce qu’il veut faire & le fait à fond. Destructeur d’exotisme, il donne à ses lieux des palettes de notions inconnues qui arrivent à mettre Ushuaia & l’Amazonie dans le même panier, comme s’il nous transformait en citoyen du monde sans culture, ni langue, ni clichés. Davantage donner de sens à un porte-clé “Liverpool” dans les mains d’une femme simple d’esprit dans la région d’Ushaia, c’est impensable. Mieux démont(r)er l’occidentalocentrisme, c’est impossible. Et inimaginable en documentaire. Qui aurait cru que c’est le cinéma qui se passerait le mieux d’être orienté pour faire voir l’autre bout du monde ?
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