Country Road
Alors qu'il avait annoncé vouloir arrêter la réalisation après Ma vie avec Liberace, Steven Soderbergh revient avec Logan Lucky, retrouvant le film de braquage, là où il a déjà brillé par le passé...
le 3 nov. 2017
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A priori, on pourrait trouver étonnant que l’ami Soderbergh revienne avec ce film. Il nous avait promis qu’il ne referait plus au cinéma, fatigué qu’il était de se lever à 5h du matin pour faire des prises de vue et de se battre pour que son film soit visible. S’il retourne au cinéma, on pourrait donc se dire que c’est parce qu’il a envie de frapper un grand coup, de conter une histoire marquante, de faire du vrai cinoche quoi. Et là, on nous annonce un film de braquage, un de plus après les 3 Ocean (12-13-14). Pourquoi sortir de sa retraite pour réinvestir un tel sous-genre?
Evidemment, c’est bien mal connaître Soderbergh. Non pas qu’il fasse autre chose de ce film qu’un récit de braquage – toutes les tentatives des critiques ricains comme français pour en faire une allégorie de la l’Amérique trumpienne sont à ce titre un peu risibles – mais à la réalité Soderbergh se fout depuis longtemps du cinéma majeur (surtout depuis une dizaine d’années), de la grande forme, il vise le mineur, les petites histoires avec des personnages sans grande envergure et c’est là que son talent s’épanouit le mieux. Logan Lucky reprend donc le cinéma là où il l’avait laissé, sans opérer une quelconque révolution dans son cinéma. On retrouvera ainsi la même lumière, la même attention aux personnages, la même économie de plans. Soderbergh a trouvé son style, c’est entendu, il n’y a donc pas grand-chose de nouveau depuis ses derniers films.
Mais puisqu’il nous refait un film de braquage, on peut mesurer le chemin parcouru depuis le début des années 2000, en comparant Logan Lucky avec le (premier) Ocean. Cette comparaison s’est imposée à moi à la vision du film car je n’arrêtais pas de me demander pourquoi ce film-ci me semblait si supérieur à son homologue d’il y a 15 ans. Une première chose m’a frappé, dès la scène d’ouverture, c’est la qualité de l’interprétation – et son corollaire, celle de l’écriture des personnages. Je suis immédiatement convaincu par Tatum et Driver en prolo red neck. Nous sommes dans des rôles de composition et pourtant, alors que les acteurs américains peuvent être très pénibles là-dedans en forçant l’accent, les mimiques pour montrer qu’ils ont bien bossé leurs rôles, ils me semblent parfaits, justes, n’en faisant jamais trop. Emouvants même. Et c’est la première différence avec Ocean’s eleven, dont l’interprétation par la bande de Clooney n’était pas honteuse mais était dénuée de tout intérêt. Damon, Clooney et Pitt n’étaient pas là pour jouer des personnages, non, ils étaient là pour faire leur numéro de charme. Ils ne faisaient pas ce qu’ils faisaient dans d’autres films, mais ils jouaient leur propre image : Clooney montrait la marque Clooney, l’acteur élégant et craquant, si bien capturée par les pubs Nespresso qui ont suivi le film. Damon jouait son statut à Hollywood, le petit nouveau prometteur qui intègre la cour des grands. Et Brad Pitt se contentait d’être beau. C’est tout ce qu’on leur demandait et c’est pour cela qu’on leur avait écrit des personnages dénués de tout réalité. Je ne leur reproche pas de ne pas être réalistes, mais de n’avoir aucune vie, aucune épaisseur, d’être de purs véhicules à stars.
Dans Logan Lucky, Soderbergh écrit cette fois-ci de vrais rôles tout en faisant appel aux stars du moment, bien que le statut de Driver-Craig-Tatum soit moins hégémonique que celui de Clooney-Damon-Pitt à l’époque. Ici les personnages ont un corps : l’un a une patte lourde qu’il traîne, l’autre une main en moins, tandis qu’un autre est taulard tatoué et d’une improbable blondeur de cheveux. Et on insiste sur ces particularismes, on les montre et ils ont un rôle dans le récit (sauf ceux de Craig). On filme des corps et pas simplement des visages comme il y a 15 ans. On a ainsi plusieurs plans où on voit tout le corps de Channing Tatum, des pieds à la tête, ce qui était rare dans Ocean’s eleven. Densité de corps, donc, là où on avait des ectoplasmes, de pures surfaces de désir.
Ce changement est lié à la différence de milieu social choisi pour ces deux films. Chez l’un, on prenait comme terrain de jeu, las Vegas et ces voleurs de grande classe, chez l’autre, on est chez les ploucs du fin fond de l’Amérique, malins sur certains aspects et largués sur d’autre (voir les moments d’incompréhension entre Tatum et sa fille ou son ex-femme). Cette différence de classe sociale est bienvenue car elle donne du poids au personnage, à l’histoire, à la mise en scène. Les braqueurs amateurs semblent dans cette cuvée alourdis par leur existence, leur situation, alors que dans Ocean’s eleven ils n’étaient que puissance, beauté et légèreté. On voyait des mecs faire les malins. Ce n’était pas sans impact sur la mise en scène et la tonalité générale du film, où tout glissait, n’était que pure surface, homothétique au sous-genre du récit de braquage.
En effet, ce genre d’histoires induit une mise en scène fluide, où on ne s’attarde sur rien, entièrement tournée vers une action linéaire et programmatique : on élabore un plan, qu’on exécute ensuite. Cela peut donc difficilement produire autre chose que de purs divertissements, assez superficiels, qui s’épuisent complètement à leur premier visionnage, telle une grille de mots croisés qu’on remplit frénétiquement et qui une fois complétée n’a plus de raison d’être. Logan Lucky n’y échappe pas totalement mais se consomme moins dans son déroulement que son prédécesseur en nous donnant à voir des personnages qui ne se réduisent pas à leur rôle dans le casse et qui ne sont pas interprétées par des starlettes au top du glamour.
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Créée
le 5 nov. 2017
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