Après quoi court Sofia Coppola? Que veut-elle filmer, au fond? Ces questions me trottent dans la tête depuis quelque temps, témoignage de ma perplexité devant sa filmographie qui ne cesse de se de rapprocher du néant cinématographique. Que Sofia Coppola n'ait rien à dire n'est en soi pas un problème, Quentin Tarantino ne s'est jamais illustré sur le terrain de la profondeur de ses long-métrages, mais à défaut il s'acharne dans chacun d'eux, avec plus ou moins de succès, à faire des scènes, à écrire des personnages, à produire de l'intensité à l'écran. Coppola, elle, donne l'impression de jouer à la poupée et de se lasser très vite. Sentiment confirmé à la vision des Proies, son dernier film en date, remake du Siegel.
Je n'ai pas un souvenir très précis du film original, vu il y a 10 ans. Je me souviens simplement d'une noirceur générale, d'un ton cauchemardesque et d'une tension sexuelle assez malsaine. Rien de tout ça ici, ce qui n'est nullement surprenant, le cinéma de Coppola n'ayant jamais eu beaucoup d'aspérités et ayant toujours fui le cru. Ce qui est plus étonnant, et même consternant, c'est l'absence d'un point de vue un peu singulier, d'un angle nouveau justifiant le remake. Les Proies raconte l'histoire d'une castration au sein d'un gynécée en pleine guerre de Sécession. Soit, c'est que Siegel a filmé, avec son style âpre et sans fioritures. Qu'apporte Coppola? Rien, si ce n'est de la désinvolture à tous les étages, qui s'illustre notamment par une sidérante sous-écriture.
Ainsi, on comprend très rapidement les tenants et les aboutissants du récit dans les 20 premières minutes et rien ne fera dévier l'histoire de son programme. Farrell est immédiatement perçu comme un mâle un peu dangereux mais terriblement désirable car à la merci de ce pensionnat ; de son côté, il drague ostensiblement ses geôlières sans se douter le moins du monde de l'issue fatale de son séjour - on aura ainsi rarement vu un personnage aussi bête au cinéma. Un tel manque de subtilité et de mystère laisse pantois. Les personnages sont archétypaux et unidimensionnels, ils ne nous surprennent jamais. Certains critiques ont tenté de sauver le film en arguant de son caractère volontiers parodique et sarcastique. Si parodie il y a, je ne vois pas trop ce qu'elle produit, en tout cas ni rires ni questionnement. Coppola déroule donc tranquillement son récit cousu de fil blanc, en accélérant le rythme vers la fin comme si elle s'ennuyait de devoir le filmer. On en arrive donc aux scènes finales au moment où les occupantes du pensionnat décident de se débarrasser définitivement et brutalement de leur hôte de plus en plus violent. Et c'est là que Coppola atteint un sommet de je m'en-foutisme. Au lieu de nous faire découvrir le plan pour liquider Farrell au fur et à mesure de son exécution, il nous est montré la scène où il est adopté puis son accomplissement qui aura lieu sans accrocs. Autrement dit, aucune surprise n'est réservée au spectateur - puisqu'il connaît déjà la ruse au moment où elle s'exécute et parce qu'elle se déroule sans contretemps. Ces deux scènes - conception puis exécution de l'élimination de Farrell - sont dénuées d'intérêt et bâclées. Elles doivent durer cinq minutes au total et sont filmées platement alors qu'elles doivent représenter l'acmé du film. On pourrait très bien résumer ces deux scènes en cinq lignes et s'on rendrait compte à leur lecture que leur contenu s'épuiserait complètement dans ce condensé. Ou pour le dire d'une autre façon, la mise en scène, au sens littéral de l'expression, ne donne aucun surcroît d'intérêt au scénario, lui-même très faible. Le film n'est même pas sauvé par son incarnation, les acteurs étant peu nuancés dans leur jeu, ils n'offrent aucun trouble à leur personnage. La palme revient à Colin Farrell quand il fait du jardinage, on se demande alors si on n'est pas en train d'assister à la plus longue pub de parfum Paco Rabanne jamais vue.
Donc que reste-il en définitive des Proies? Une bonne direction artistique. Les vêtements sont beaux, la lumière est magnifique et c'est plutôt bien cadré. Bref, ce n'est qu'un joli film d'une cinéaste qui n'a plus rien à montrer.