J'ai regardé Loin des Hommes il y a bien plusieurs semaines de cela maintenant, je repense par intermittences au film et je me rends compte progressivement de l'intérêt particulier qu'il représente pour moi. Je pense notamment qu'avec le temps, je perds progressivement des souvenirs du film et seul l’essentiel me reste en tête. Quelques scènes accrochées à son squelette narratif me persistent. Et plus je mûris cette structure, plus celle-ci me confirme une intuition propre…
Je pense que ce film est un véritable western. Du moins, j’en garde l’impression d’avoir vu un film revisitant les enjeux clés de ce genre mythique. Bien évidemment, le lieu de tournage : les montagnes désertiques de l’Atlas filmées en décors réel et où se jouent les prémices d’une révolution à venir. Le contexte diégétique est pour moi très important et contribue à confirmer ce parallélisme entre la mythologie du Far West et le film de David Oelhoffen. Cette Algérie-là est en effet le terrain de la naissance historique d’un nouvel Ordre, le film traite de l’indépendance du pays. Donc, si l'on résume, à ce moment précis, la loi imposée par le gouvernement français ne convient plus à cette province. Ceci pose un dilemme moral ! Bazin disait à dans "Le Western ou le cinéma américain par excellence" (Qu’est-ce que le cinéma ? - 1958) que « l’épopée se fait tragédie par l’apparition de la première contradiction entre la transcendance de la justice sociale et la singularité de la justice morale, entre l’impératif catégorique de la loi, qui garantit l’ordre de la Cité futur, et celui non moins irréductible de la conscience individuelle ». Si j’applique cela à Loin des Hommes, Daru (Viggo Mortensen) ne représente-t-il pas le héros emblématique, qui, tiraillé entre la pression de la législation qui lui est imposée au début du film et ses propres valeurs morales, se voit dans l’incapacité d’obéir aux ordres ? Il m’est difficile aussi de ne pas rapprocher le personnage Mohamed (Reda Kateb) de ces dilemmes caractéristiques du western, il a dû lui aussi transcender la justice sociale par nécessité morale et se retrouver poursuivis par des hommes réclamant, grâce à la loi du sang, de lui faire la peau ! C’est de cet enchevêtrement, sans cesse complexifiés durant le film, que naît la tragique épopée de ces deux hommes, liés par la bonne conscience individuelle. Ils seront durant tout leur long voyage pourchassés par ces sortes de hors-la-loi, eux-mêmes non à l’abri des milices de soldats français. Et finalement, ne retrouve-t-on pas dans l’événement historique choisi une analogie avec la colonisation du Far West ? Loin des Homme prend place dans un contexte aux enjeux certes qui lui sont propres, mais n’y a-t-il pas là un combat qui fonde les bases idéologiques d’un peuple nouveau ? Et même si je pense que David Oelhoffen ne pose pas particulièrement d’avis politique sur la question (et c’est en ce point précis qu’il différerait de loin avec le western hollywoodien), il est certain qu’il tire de ce fait historique originel les antagonismes dramatiques entre loi et morale (tout comme le fesait les vieux film de cow-boys). Je dirai même sur ce plan que le choix de Mohamed à la fin du film explique bien la volonté de David Oelhoffen de proposer une autre alternative à celle de l’évolution vers une société nouvelle. En comparaison, je pense qu’on pourrait situer Loin des Hommes à cheval entre un Des Hommes et des Dieux et un Dead Man. Sinon, formellement, beaucoup d’indices dans cette expédition montagneuse me rappellent le western. Le traitement esthétique des paysage et leur mise en scène sont évidemment censés rappeler leur hostilité (frappante de beauté dans nos cultures contemporaines). La manière qu’a le metteur en scène d’agrémenter la traque des deux renégats en fait aussi une véritable épopée : la scène où un de leurs poursuivants les retrouve sous un rocher (et son aspect tout à fait apitoyant dans sa résolution). De même, la ville fantôme est pour moi autant symbolique que celles toujours tristement nommées de l’épique ruée vers l’or. On pourrait même évoquer la figure de la prostituée…
Enfin bref, tout un panel d’éléments, qui, même si l’on peut rechigner à l’idée d’associer deux cinémas idéologiquement très distants, associent parfaitement bien cette aventure à une belle revisite du genre western par David Oelhoffen.