Je suis dans ma phase Todd Haynes, et je commence à avoir balayé les extrêmes de sa carrière. Carol m'a emballée et Safe laissée sur la touche, alors j'ai abordé Loin du Paradis avec un peu de scepticisme et beaucoup de précaution. Les échos avec Carol y sont pléthore : un générique à l'ancienne, une plongée intrépide dans le mélo, le retour vers une Amérique désormais quasi mythique, des actrices capables de tout, la même habilleuse, le même chef op, deux valises blanches, des foulards vaporeux, des jupons encombrants, des formes d'amour dissidentes et une pression sociale insupportable. Mais la même recette ne produit pas forcément le même résultat, comme ces poulets qu'on met au four pendant exactement le même temps et qui en sortent l'un parfaitement à point et l'autre encore quasiment cru... Et c'est ce film-ci celui qui manque de cuisson. On sent en germe ce que Carol représentera comme aboutissement, mais tout y est plus outré, comme dans un Almodovar trop clinquant. La musique n'est pas pour rien dans cette impression de maladresse qui s'empare parfois du spectateur. Bernstein a eu la main lourde, malgré quelques jolies mélodies au piano seul. Quand les violons s'en mêlent, ça prend du plomb dans l'aile. Et tout le début (mais on retrouve aussi cette direction trop appuyée dans les premières scènes de Carol) souffre d'un excès de maniérisme un peu embarrassant. En fait, Todd Haynes est le champion du final; il conçoit parfaitement la conclusion des enjeux patiemment mis en place. Je n'en dis rien pour ne pas les éventer, mais les dix dernières minutes emportent la mise, en dépit de tous les défauts remarqués auparavant (les couleurs criardes, l'affectation dans le jeu, la contre-performance de Dennis Quaid, que pourtant j'aime beaucoup, les façades sociales qui se lézardent dans un ralenti parfois complaisant, etc.). Au final, donc, un bilan plutôt positif, sans enthousiasme excessif...