Je soupçonne ce film de chercher volontairement l'inanité, peut-être par affinité pour son thème fondamental – le sentiment de désolation précédant la chute aux enfers. Ce truc ose quand même nous servir les portraits des présidents Nixon et Clinton pour éclairer sur la période, or le premier apparaît chez des particuliers dans une démocratie pas trop flawed ce qui n'a aucun sens dans une non-comédie (le dernier shooting de François Hollande est la seule exception admissible) ; le second, avec sa bouille ravie, est aussi approprié pour l'ambiance d'angoisse qu'une compilation de Jackie Sardou destinée à vendre le raffinement à la française.
Le plus troublant avec Longlegs c'est l'absence de développement. La trame est ridiculement faible, la séance se résume à un empilement de déjà-vu et le surlignage du pouvoir de son ambiance, illustrant celle de l'hypnose (seule justification à la nullité de l'enquête). C'est au-delà du pastiche, avec un parfum de fin de cycle. Ce cinéma 'sophistiqué' en fait de recyclage et de vacuité inflige des sensations comparables à la visite de ces musées diffusant une atmosphère d'avant-garde, sans aucun argument pour le soutenir – la posture seule tient lieu de vérité, le chaland est invité à un jeu de crédules sinon à une foi magique. Dans le cas présent, la croyance démente, c'est que ce film puisse être un digne héritier du Silence des agneaux, simplement car il le cite et agite des éléments. Sauf que Longlegs n'a qu'un seul atout : Nicolas Cage.
Avec sa dégaine de non-binaire des seventies puis de variation SDF d'Armande Altaï mutée avec le Marilyn Manson d'I don't like the drugs sauvé de la fusion avec Mickey Rourke par la rhinoplastie, le Cage de Longlegs est positivement dégueulasse. Nous aurons droit à une courte infiltration dans son antre fleurant bon le 'Au revoir chevaux' et la collection de poupées décapitées – que de promesses ! Résolument laissées en plan, car on ne saura rien du personnage, ne le verra jamais à l'oeuvre et à peine dans son quotidien. Néanmoins l'effort dans le style, qui constitue la quasi totalité des efforts déployés par ce film, abouti avec lui et sa partenaire. Face à eux, on ressent l'effroi d'une présence imprimée par les individus fanatisés ou vivant dans un cauchemar qu'ils cherchent à mutualiser – ces personnes pas physiquement menaçantes dans l'absolu (faiblement agressives et puissantes), mais donnant l'impression d'être aux portes des enfers et d'avoir perdu leur intégrité psychologique, autrement dit 'leur âme'.
Cet état rend Cage et son associée partiellement effrayants car dérangeants, même si c'est d'abord la fascination grotesque qui s'exerce. Malheureusement le film ne sait qu'atteindre le niveau d'illustration et de façon ponctuelle – l'ensemble des apparitions de Cage, soit trois séquences (dont une ahurie où il sabote le travail de son chirurgien) ; toute la séquence finale, où l'associée du tueur, déterminée, perdue pour la race humaine, se dit motivée par un devoir filial, paraît surtout accrochée à sa mission d'annihilation, alors qu'elle-même est annihilée sauf d'un point de vue exécutif (qui comprend la capacité à échanger banalement, à entretenir des liens minimaux avec ses proches). Ce prétexte du devoir maternel est l'équivalent des larmes montant aux yeux de la femme qui s'apprête à se faire estourbir dans la bonne humeur – le sujet authentique n'est pas encore complètement altéré par l'hypnose.
Dommage que Longlegs ne soit qu'une bouffonnerie d'un sérieux et d'une langueur mortels. Je range ce pauvre film dans le registre des 'Immenses gâchis' et non des 'Moyens ou mauvais qui valent le coup', car s'il a une capacité à suggérer la mort de l'esprit (ou le suicide psychologique), il n'y arrive que de façon décorative et avec le secours de ses ressources humaines, Nicolas Cage essentiellement, qu'il a l'imbécilité d'exploiter le moins possible – au bénéfice d'un non-scénario reposant sur une histoire invraisemblable (le passé du tueur et son succès n'ont de sens qu'en convoquant le surnaturel, mais on en sait et voit rien – tout se résume probablement à un pacte avec le diable, scellé par notre Buffalo Bill de poche lors d'une de ses montées acides ou descentes d'organe) et de pitreries ténébreuses (comme son générique final inversé).
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