Mon royaume pour un cheval.Al Pacino,qui ne réalise pas souvent,nous propose un docu-fiction consacré à "Richard III",pièce de Shakespeare dont on apprend ici qu'elle est la plus jouée de son auteur,en dépit du fait qu'elle est considérée comme peu accessible.Flanqué du metteur en scène de théâtre Frederic Kimball,Pacino explore l'oeuvre sous tous ses aspects et en tire un travail pédagogique passionnant,évitant adroitement le cours magistral rébarbatif.Pour ce faire,il fait interpréter les moments importants de la pièce par des acteurs,entrecoupant ces scènes de la préparation,lectures et réunions,qui les a précédées,de conversations et de repérages entre les techniciens,Kimball et lui,d'interviews de spécialistes de Shakespeare,dont Kenneth Branagh,et de micro-trottoirs avec des anonymes interrogés dans la rue.Ce puzzle finit par dessiner une image globale de l'oeuvre,qui en facilite la compréhension.Passionné par son sujet,l'acteur-cinéaste n'élude rien et n'hésite pas à aller au fond des choses.Il fait ainsi apparaître le fait que l'immense William est un dramaturge célébrissime mais dont les oeuvres sont finalement peu connues.Qui,en dehors des théâtreux ou des aficionados de la littérature classique,a réellement lu l'auteur ou vu ses pièces?Les réactions des gens de la rue,totalement déroutés,sont éloquentes à cet égard.Pacino souligne qu'il y a d'abord un problème de langage.L'écriture de Shakespeare,brillante et fort éloignée des standards actuels,a de quoi interloquer un public biberonné au rap et à la télé-réalité,dont la compréhension se trouve limitée.Mais Alfredo dédramatise habilement ce hiatus en précisant qu'on n'est pas obligé de saisir le sens de tous les mots pour apprécier une pièce dont il suffit d'appréhender l'intrigue générale pour la suivre sans encombre.Car "Richard III",et Pacino le démontre,est une histoire beaucoup plus simple qu'on ne le dit.Ce qui est compliqué,c'est le langage employé,on l'a dit,mais également le contexte historique,car Shakespeare s'est inspiré de faits réels.Alors,si on n'est pas féru d'Histoire de l'Angleterre,on peut être un peu paumé pour peu qu'on ne soit pas concentré sur ce qu'on écoute.Qui a fait la guerre à qui?Quels sont les liens familiaux des uns et des autres?Qui est allié à qui?Quel est l'ordre exact des prétendants au trône?Heureusement,le réalisateur prend le temps de nous expliquer tout ça en détail et,miracle,on finit par se croire intelligent et par trouver ce texte limpide.D'autant que la colonne vertébrale de la pièce se résume à une intrigue simplissime et éternelle.Richard,frère du roi mourant Edouard IV,veut accéder au trône,mais il n'est pas le premier sur la liste.A force de manigances et de coups tordus,et au prix de quelques meurtres ignobles,il éliminera ses rivaux et parviendra à ses fins.Rien que de très classique,en fin de compte.Ce qui fait la force de l'oeuvre est évidemment la vision de Shakespeare,qui a une opinion très sombre de l'âme humaine,et qui dénonce violemment la nature corruptrice du pouvoir,qu'on le détienne,qu'on le convoite ou qu'on gravite autour.Il pointe aussi l'inanité de cette quête.Devenu roi,Richard n'est pas plus heureux pour autant.Il a atteint son but et n'a donc plus rien qui le pousse en avant.Ne lui reste plus que la parano,car il sait que tout le monde le déteste et veut sa perte,et la folie,car sa conscience,il en a quand même une,le tourmente par le biais du souvenir de ses crimes.Il finira seul sur un champ de bataille,en émettant cette proposition dérisoire:"mon royaume pour un cheval".Il est à noter que William a pris certaines libertés avec la réalité et que des historiens décrivent Richard III comme un bon roi.Pacino nous parle au passage du curieux complexe frappant les comédiens américains,qui ne se sentent guère légitimes,en tout cas moins que leurs collègues anglais,lorsqu'il s'agit de se frotter au théâtre classique."Looking for Richard" est aussi une intéressante analyse du processus créatif en mouvement,qu'il soit théâtral ou cinématographique.Pacino et Kimball s'imprègnent de l'oeuvre, vont en Angleterre visiter la maison natale de Shakespeare et le théâtre de ses débuts,ils échangent à propos de ce qu'ils vont montrer ou non à l'écran,ils repèrent des lieux de tournage.Les répétitions avec les acteurs sont édifiantes.On suit leurs colères,leurs doutes,leurs enthousiasmes,leurs hésitations.On s'empoigne sur la façon de dire une phrase,sur l'intention à faire passer et à transmettre au spectateur. Pacino le réalisateur est d'une étonnante décontraction.Il fait volontiers le clown et se balade attifé comme l'as de pique et coiffé d'une casquette portée à l'envers,style ziva.Par contre,quand il interprète le rôle principal,ça ne rigole plus,et il compose le personnage de Richard avec une telle puissance et une telle subtilité qu'au-delà de l'ignominie du mec il parvient à lui conférer une véritable humanité.Il a entraîné dans l'aventure une belle troupe de comédiens comprenant entre autres Alec Baldwin,Winona Ryder,Kevin Spacey,Aidan Quinn et Paul Guilfoyle.