Critique originale sur Le MagduCiné
Dans Los Silencios, la réalisatrice brise toutes les frontières, du Brésil à la Colombie, du monde des vivants à celui des morts, et de la réalité à la fiction. Tout s’entremêle pour offrir un film original et profond.
Ce qui frappe immédiatement l’oeil lorsqu’on se plonge dans le film, c’est sa jolie composition scénique. Aussi bien dans le choix des formes mises en avant que dans l’équilibrage des couleurs qui soulignent toujours les émotions, la réalisatrice sait capter les instants et sublimer ses acteurs, qu’elle dirige avec une grande justesse pour offrir des moments aussi subtils que forts. On passe d’un clair obscur intérieur à un extérieur coloré et assez dynamique où la vie qui entoure cette famille, que l’on suit dans son cadre intime, rentre directement en opposition avec leur vécu individuel et familial. L’esthétisme resserré de l’intérieur de la maison, où le fantôme du père se mêle aux tourments et traumatismes d’une femme ayant fui les FARC avec ses deux enfants, fait planer les ombres de souvenirs douloureux. Mais la délicatesse avec laquelle Béatriz Seigner introduit cela rend le tout d’autant plus touchant que le spectateur ne se rend pas vraiment compte de ce qui se déroule sous ses yeux.
Tourné sur la Isla de la fantasia, Los Silencios offre un voyage intime, intemporel à son public qui peut être séduit par la grande douceur avec laquelle la cinéaste brésilienne l’entraîne, sans que jamais il ne se sente brusqué. On sait l’importance du lien avec les morts en Amérique Latine, Disney le montrait d’ailleurs très bien dans Coco où la voix enfantine de Miguel nous transportait au Pays des Morts. Ici, il ne s’agit pas de musique mais le son a une importance capitale dans ce qu’il donne à découvrir de la vie des personnages. Si la nuit et l’eau reviennent sans cesse, c’est parce que l’île sur laquelle est tourné le film, est totalement immergée 4 mois par an. Le lien avec la nature, avec chacun des sons qu’elle peut émettre est donc nécessaire et privilégié par la réalisatrice qui choisit d’ancrer totalement ses protagonistes dans l’environnement qui les entoure : des bruits de l’eau à celui du vent en passant par celui des feuilles ou encore du coassements des grenouilles, tout est présent pour s’imprégner de l’ambiance générale et favoriser la plongée dans la sphère intérieure des personnages. Ce travail sonore sert d’autant plus le récit qu’il favorise l’atmosphère onirique qui s’en dégage et donc l’arrivée d’une scène finale de funérailles qui vient comme un coup de massue sublime, un gong aux couleurs fluos et une vie merveilleuse. Los Silencios est finalement une belle leçon d’optimisme; même dans ses moments les plus sombres où le ton dramatique prend le dessus, c’est toujours la couleur de la vie qui s’en sort. Parce que la dimension donnée à la mort n’est pas la même qu’en Occident, les couleurs floues font se confondre illusion, mort et vie dans un film surprenant d’originalité et de candeur, sur fond de crise politique.