Article original sur Le Mag du Ciné
La compétition a frappé fort hier sur la Croisette. Terrence Malick et Céline Sciamma ont renversé les coeurs avec leurs films respectifs, deux tons différents mais deux oeuvres d’une grande puissance esthétique et émotionnelle. Habituée du Festival de Cannes depuis Naissance des pieuvres en 2007 dans lequel elle fait éclore Adèle Haenel, Céline Sciamma revient avec Portrait de la jeune fille en feu et transperce nos coeurs.
Portrait de la jeune fille en feu est un coup de grâce, un objet béni du cinéma qui laisse bouche bée devant tant de talents. Dans la réalisation, le jeu, la mise en scène et les choix esthétiques et musicaux, tout est calibré pour toucher son public. Durant deux heures de film, la cinéaste fait le choix de travailler les sons de manière très subtile, des bruits de crayons au crépitement du feu et au plissement des draps, mais décide de ne mettre que très peu de musique. Cependant, quand elle le fait, les scènes font tourbillonner les esprits. Une scène au milieu du film fait surgir une chorale de femmes autour d’un feu et avec des chants en latin : le moment devient quasiment mystique. Les regards sont suspendus, les yeux grand ouverts, on assiste à un grand moment de cinéma qui met aussi bien en valeur le talent des actrices pour insuffler un vent d’amour et de désir, seulement par leur présence physique, que surtout à ce moment-là, celui de Para One, avec qui la réalisatrice avait déjà collaboré pour Bandes de filles. Ce dernier offre d’ailleurs un morceau superbe pour un final renversant, digne des plus grands chefs d’oeuvre du cinéma.
Ne regrettez pas. Souvenez vous.
Nombreux sont les dialogues et les morceaux de scènes que l’on pourrait citer et réciter dans toute leur beauté et leur amour des mots. Portrait de la jeune fille en feu est d’une grande poésie et d’une admirable sobriété. Céline Sciamma choisit l’économie des plans et si l’on peut croire que le rythme va s’en retrouver gâché , les actrices se saisissent tellement de leurs personnages et de cette relation qu’il n’en est rien. Au contraire, l’instant est suspendu, le public accroché aux lèvres des comédiennes qui portent à elles deux le film avec une grâce impressionnante. Le clair-obscur les sublime autant que les moments plus lumineux, le film donne l’impression d’être dans un tableau du début à la fin tant la photographie est incroyable. À ceux qui nous ont inspirés, et à ceux que l’on a aimés, le film nous fera penser. Plongé dans une certaine mélancolie née de cette histoire impossible, Portrait de la jeune fille en feu bouleverse littéralement avec cet amour qui irradie l’écran de ses regards et ses mots doux, tendres mais remplis d’ardeur. Et si jusqu’à la fin, on espère s’en sortir avec un dernier regard croisé comme l’avait fait avec perfection Todd Haynes dans Carol, on y trouvera une fin digne de l’ultime scène de Call Me by Your Name, dans laquelle Adèle Haenel explose son talent. Une puissance rarement vue chez l’actrice qui porte ici tout le meilleur qu’elle possède et donne la réplique à une Noémie Merlant tout aussi bouleversante. Si le film ne s’en sort pas avec la Palme d’Or, il aura toutes ses chances et mérites d’avoir un prix d’interprétation pour les deux actrices incroyables qu’il met en lumière.
Thierry Frémaux avait annoncé un festival romantique et politique, il semble qu’il ait trouvé le point de grâce ultime avec cette histoire d’amour majestueuse. Un de ces films féminins comme il en faut pour prouver au monde entier que les femmes ont leur place à Cannes, que ce n’est pas une réaction à Me Too ou autre affaire, seulement du talent pur et généreux qui mérite la plus dorée des récompenses. Même dans son engagement, le film est juste. Sciamma effleure le féminisme de ses personnages avec, là encore, une finesse admirable lors d’un avortement déchirant et des discussions passionnantes sur le métier de peintre lorsque l’on est une femme. Inspiré, inspirant, Portrait de la jeune fille en feu donne à ressentir, à pleurer.