Vers la fin du 18ème siècle, une Comtesse demeurant sur une île de Bretagne doit selon la tradition faire appel à un artiste peintre afin de réaliser le portrait de mariage de sa fille Héloïse. La comtesse choisit Marianne, une artiste chevronnée, qui devra se faire passer pour "Dame de Compagnie" d'Héloïse qui ne désire absolument pas convoler en juste noce avec l'homme qu'on lui propose.
Pour rejoindre cette île la traversée va être compliquée jusqu'à l'approche de la côte. Arrivée à la demeure aussi austère que son ambiance, l'artiste va devoir cacher la cause de sa venue afin de reproduire Héloïse sur la toile sans le consentement de celle-ci. Observer, apprivoiser la confiance de la future mariée vont être deux éléments indispensables. Marianne devra peut-être prendre l'ascendant et gagner la pleine confiance d'Héloïse pour atteindre l'objectif que la comtesse lui a fixé.
Lorsque Marianne accoste sur cette île un peu désolée mais ô combien remplie de ce"parfum" que la Bretagne sait si bien nous offrir nous sommes par miracle comme envoûtés. Il va forcément se passer quelque chose de particulier dans cette grande demeure cossue mais un peu sinistre enveloppée du bruit incessant de cette mer remuante et indomptable.
L'accueil de la Comtesse, maîtresse des lieux, est à l'image de cette bâtisse,strict et sans chaleur. Qu'importe, les consignes sont données à Marianne: utiliser toutes les ruses possible afin de pouvoir réaliser le fameux portrait de cette future mariée récemment sortie d'un couvent au sein duquel son âme se sentait en paix.
La Comtesse devant partir en déplacement Marianne aura un délai bien défini pour accomplir le "cadeau de mariage". Sophie, la petite bonne, sera le seul témoin de cette situation peu banale entre l'artiste peintre et Héloïse.
Un tel travail sans véritable modèle à disposition est un travail presque insurmontable mais qu'importe! Par son expérience et sa grâce Marianne va user d'un bon nombre d'astuces pour bien cerner ce visage qui devrait être souriant et qui ne l'est malheureusement pas. C'est en comprenant autrui que l'on devient son amie.
Marianne, talentueuse artiste, va tenter de "libérer" Héloïse de son carcan. Pour cela elle va essayer de lui donner des notions de dessin, de peinture et de musique. Les notes du plus rapide extrait du 3ème mouvement (L'Eté) des "Quatre saisons" de Vivaldi jaillissent de l'épinette. Pour moi c'est un symbole très significatif des relations qui vont se nouer entre les deux femmes. Cet extrait résonne comme le tonnerre, une révolution de l'univers entre les jeunes elles.
Le tableau exécuté, Héloïse ne se reconnaissant pas, ne l'apprécie pas. Le mariage est trop présent dans ses pensées mais pour un artiste comment peindre un sourire lorsque celui-ci ne peut s'esquisser faute à un avenir obstrué par une torture? Marianne, à force de regards furtifs entre les deux femmes, de plus en plus complices, de plus en plus tendres, comprend que cette première esquisse est une douleur pour son modèle à tel point qu'elle élimine sans hésitation ce portait reflétant plus le dépit et la tristesse que la joie.
Petit à petit la complicité entre Héloïse et Marianne va éclater à l'image de ces notes de piano certes maladroites mais émouvantes. La foudre est là, l'amour est présent et ces deux femmes entrent dans la complicité d'un profond amour charnel. Elles se libèrent en rompant les barrières des actes bannis, Héloïse sourit enfin. Toutefois Marianne est hantée par un fantôme qui la harcèle, celui de sa bien aimée en robe de mariée lui rappelant que cette douce séquence risque bien d'être temporaire.
N'oublions pas que nous sommes en 1770 et la jeune servante Sophie se retrouve enceinte. Face au déshonneur probable, elle ne souhaite pas garder l'enfant. Les deux amies vont alors assister une "faiseuse d'anges" à procéder à l'avortement afin de libérer Sophie de la haine et la honte de la société qui l'entoure
Un avortement est un acte qui ne laisse de trace que dans la conscience de la femme qui le subit alors qu'un amour, un amour durable entre deux femmes se remarque et au 18ème siècle on ne pardonne pas. Le tableau est fin prêt, le sourire est enfin présent. Pour Marianne le "travail" est réalisé mais il n'a pas pour autant effacé le grand amour que se portent les deux femmes.
La Comtesse est rentrée de son voyage, elle a daigné laisser un délai supplémentaire pour finaliser le tableau. L'obstacle est franchi. Adieu le véritable amour pour ces deux jeunes femmes. Bonjour la dure réalité du mariage forcé. Les regards sont éperdus sentant la détresses de l'avenir. Marianne repartira de l'île après avoir revu une dernière fois ce fantôme de mariée insoutenable.
Bien plus tard Marianne vient assister à un concert, on joue les "Quatre Saisons" de Vivaldi. Héloïse arrive et se place sans la remarquer. Elle entend ce fameux troisième mouvement, son regard se fige, ses yeux deviennent humides pendant que les notes s'égrainent. Ce sont des instants inoubliables de bonheur qui défilent, des instants qu'elle ne retrouvera que dans l'immense tristesse de ces souvenirs qui se conservent avec beaucoup de chagrin et d'amertume de toute une vie et une vie c'est long...
Cette œuvre de Céline Sciamma est pour moi une œuvre exceptionnelle, un film que l'on appréhende à la même manière d'un tableau de maître.
Avoir choisi le 18ème siècle comme période pour des sujets d'une actualité encore brûlante à notre époque est un tour de force. Il nous révèle que le combat des femmes pour leur liberté intime a toujours été réel. Elles ont de tout temps subi les obstacles d'une société qui les ont placées dans la soumission et c'est encore bien souvent le cas.
Ce drame est traité ici avec une énorme sensibilité. Outre le sujet, tout se place dans l'interprétation, dans le descriptif notamment des regards, des visages mais aussi de la musique.
Ce film ne comporte effectivement qu'environ trois minutes de musique primordiales dans le déroulement de l'intrigue. De cette œuvre de Vivaldi si connue la réalisatrice a judicieusement choisi un extrait absolument jubilatoire afin de décrire les sentiments qui vont en découler et permettre d'aboutir à l'une des plus belles fins que j'ai pu voir dans un film, le plan fixe sur le visage et le regard d' Héloïse évoluant en même temps que les violons. C'est le résumé d'un moment de bonheur et peut-être le désespoir de tout une vie qui défile en quelques secondes sous nos yeux.
Et puis il y a ce fameux chant exécuté par des femmes bretonnes, la nuit sur une plage avec ce feu de bois et Héloïse qui se tient là avec sa robe qui commence à s'enflammer. Le plan est une merveille et ce chant ajoute à l'émotion et au symbolisme de cette histoire. Le bourdonnement qui s'amplifie pour se terminer dans une danse tel un tourbillon nous entraîne dans un autre monde plus serein, rompant avec les traditions et les préjugés de cette époque pour se projeter peut-être vers une liberté souhaitée. A cet égard le morceau, "Para One", de Jean-Baptiste de Laublier et d'Arthur Simonini est d'une splendeur absolue et se révèle indispensable à ce moment du film.
Les images sont sublimes et sont à elles seules d'une efficacité sans faille à tel point qu'elles parlent autant que bien des dialogues tant elles sont envoûtantes.
Et puis je ne veux surtout pas oublier les très grandes prestations de Noémie Merlant, Marianne et de Adèle Haenel, Héloïse. Elles sont toutes deux inoubliables et méritent amplement d'avoir été remarquées par les jurys. Je vais également citer dans ce concert d'éloges Luàna Bajrami dans le rôle très austère de Sophie.
Après tant d'émotions et tant d'admiration pour ce film, je ne peux faire autrement que de le faire entrer dans mon "TOP 10" non sans redire toute mon admiration pour la réalisatrice Céline Sciamma dont j'attends avec beaucoup d'impatience ses prochaines œuvres.
Bande Originale
"https://www.youtube.com/watch?v=Sr04s6IfxAQ
https://www.youtube.com/watch?v=6OcICG6WzOo
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Note: 10/10