Sofia Coppola est capable du meilleur comme du pire et si on lui attribue le statut de bonne réalisatrice, il est vrai qu'elle peut être surestimée. L'exemple parfait pourrait être Somewhere, primé par son ex Quentin Tarantino et qui avait déçu la critique, accusant même parfois le président de la Mostra de Venise de favoritisme. Pour autant, Sofia Coppola peut aussi émerveiller et Lost in translation reste à ce jour son meilleur film. Retour sur un des films marquants de la décennie précédente.

Perdus, les personnages le sont, ils sont même complètement déboussolés, inondés d'une jungle qu'ils ne connaissent pas, perdus dans leurs vies, incapable de retrouver des marques, des repères, pour se guider et surmonter la futilité de leurs existences. Bill Murray et Scarlett Johansson sont seuls, dans un monde qu'ils ne connaissent pas et qu'ils n'apprécient pas, incompris ou bien simplement pas écoutés, ils sont à un stade de leur vie où ils doivent franchir un cap, réapprendre pour mieux progresser. Lost in translation de par la langue, aux antipodes d'un anglais universel mais aussi et surtout, de par l'incapacité chronique de chacun des deux protagonistes d'identifier clairement les messages, les appels du monde qui les entoure, l'impossibilité de communiquer avec eux-mêmes, de trouver des solutions pour avancer.

Pour retrouver le goût de vivre, ils vont devoir se soutenir, s'attirer pour mieux se repousser et si aucun des deux personnages n'est dans la capacité de se déchiffrer, il détient les clés de la traduction pour l'autre. Comment faire pour franchir les étapes décisives de la vie ? Sofia Coppola a une réponse simple : ne rien faire.

Ne rien faire et tout faire en même temps, s'accorder le temps pour des futilités, rester contemplatif sans chercher forcément à comprendre, s'amuser, découvrir, respirer, grandir, accepter pour s'accepter et (re)trouver l'Amour. Aussi, les regards vides de Bill Murray prennent toute l'ampleur nécessaire pour un rôle qui lui est taillé sur mesure. Les deux personnages sont attirés l'un vers l'autre, sans en avoir le droit, succombent sans effusions, tout est tellement passionnel dès le départ qu'on n'a pas besoin de montrer quoique ce soit. Une relation balbutiante et vieille à la fois, ils se connaissent si bien et se découvrent encore. La réinvention d'un mariage qui bat de l'aile et d'une amourette de vacances. On se dit qu'il ne peut en être autrement, on les veut ensemble et en même temps on se dit que ça gâcherait une si belle histoire.

Et finalement, le véritable tour de force d'un film où il ne passe rien et tout à la fois c'est de laisser le spectateur imaginer la suite, ne rien arrêter, comme pour montrer que les personnages alors faces au mur, sont maintenant à nouveau en mouvement : un baiser et puis s'en va, ce chuchotement et l'en avant des deux personnages. Le pathos est présent et transpire chaque scène, chaque plan du film, mettant le spectateur en difficulté tout comme le sont ces deux américains en territoire inconnu au début du film mais qui va se battre pour retrouver une joie de vivre comme interdite par une vie de couple morne et sans rebondissements. La solution ne vient donc pas de soi mais de l'autre.

C'est beau et c'est simple. Du grand cinéma.
Carlit0
9
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le 13 juil. 2012

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Carlit0

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