Dans La Gueule Ouverte, centré sur une agonie prise dans toute sa trivialité et sa laideur, la méthode Pialat prend tout son sens. Ce côté désagrégé, artisanal malade, opérationnel mais effroyablement usé, souligne la cible avec force et honnêteté. Loulou semble juste baclé et d'ailleurs il l'est passablement : dans sa quête de l'instantané, encadré avec une rigueur de poète zombifié, Pialat est exagérément complaisant envers lui-même et surtout envers son matériel. Il laisse les acteurs faire leur numéro, le montage est lâche, le scénario ad hoc, l'intensité dramatique 'résiduelle', comme convenu puisque tout effet est omis.
Ne rien construire en amont est un parti-pris, ne rien s'autoriser comme volonté sur son œuvre sinon de l'emballer avec un minimum d'application est un aussi. Loulou en montre les résultats, acclamés par une large part de la critique à l'époque, sans doute proprement ignorés si le casting (au sens large) avait été autre. Depardieu et Huppert vivent donc comme des animaux, ne comprennent rien à leur existence ni à aucun monde. Leur champ de vision est étroit et peu conscient de lui-même (sauf le versant bersoins primaires), les laissant d'autant plus s'avachir dans leur réalité immédiate.
Ils sont médiocres et un peu sordides, comme l'est ouvertement le milieu dans lequel trempe Depardieu ; celui d'André et Nelly prend peu de place, lui est un type solitaire et rangé à sa façon, elle s'évade de son espace bourgeois pour occuper son corps, seule dimension qu'elle connaisse. Huppert campe un grossier personnage bien né ; avant d'être identifiée comme une dame (éventuellement une fille) froide et bien névrosée (La Pianiste, 8 femmes), elle interprétait souvent ce genre de jeunes connes, sanguines et molles, platement vulgaire.
Le malaise devant le médiocre peut être ressenti, à l'usure ou parce qu'on y est collé sans nuances ; on le ressent encore davantage, de façon moins scandaleuse, car Pialat force à être trop vide et sans direction pour mieux se fondre avec eux. Il s'oublie en tant que cinéaste, à un point excessif ; le cinéma vérité atterrit dans le lisier, n'a pas grand chose à en extraire. Tout ce que Loulou peut receler de richesse est délibérément accidentel ; c'est un brave postulat mais dans les faits l'improvisation pure, combinée au laisser-aller et au détachement émotionnel, ne donne rien de bien profond.
Que Loulou relève au hasard les différences de perception entre différents membres de la société, c'est inévitable ; là-dessus il n'y a aucun traitement, Pialat en reste bêtement à la surface. L'Enfance nue n'aurait été si puissant s'il ne sondait rien de ses personnages, de leur milieu, avec un tant soit peu d'adresse, de sélection. Mais non, il faut refuser le jugement et le naturalisme ! Il faut fabriquer un cinéma avec des vrais gens ne ramenant pas leur métaphysique sur le tapis, ou alors sans faire exprès, de très loin, quand vraiment ça vient à filtrer.
Heureusement il y a une nuance, c'est André (par Guy Marchand, à nouveau avec Huppert un an après pour Coup de torchon de Tavernier), dont les interventions sont pertinentes, les phrases de vraies punchline ; normal, ce personnage est la projection de Pialat et la pièce autobiographique à l'origine de ce tableau. Toutefois ce protagoniste n'est investi qu'en fonction de son rôle dans la relation Loulou/Nelly. Le personnage-titre semble noyé dans le courant, parmi les autres ; mais la vie doit parler pour eux et celle qu'on voit le mieux reste la sienne. Et en somme, on voit un Gérard Loulou incapable de s'émanciper, perdu.
Lorsque Michel le BCBG vient lui faire des suggestions, il ne sait pas rebondir là-dessus ; il le désirerait sûrement, mais c'est une bonne bête, bonne à foutre et désemparée sur l'avenir ; nonchalante envers lui car inapte à le saisir. Loulou et Nelly, comme les autres, gesticulent, livrés à leur petitesse, déterminés par des impasses. Le film est loin d'être ennuyeux ou totalement vain, mais c'est un film ''larve'', habitant son cocon sans la moindre hauteur. Le film ''larve'' déroule passivement un contenu et pour le comprendre, s'en remet à une dépression amorphe prise comme détermination objective. C'était la première collaboration entre Depardieu et Pialat, qui tourneront ensemble Le Garçu, Police et surtout Sous le soleil de Satan.
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