Presque trois mois après la séance, difficile de s'en remettre.
Zappez la bande-annonce qui en montre trop, ne vous fiez pas à sa réputation de film sanguinaire et oubliez le marketing qui compare le film à Prisoners. Car Love Hunters ne va pas faire l'unanimité, encore moins vous placer dans la (double) peau d'un flic et du père d'une des gamines kidnappées. Meilleur film de Denis Villeneuve, Prisoners conservait une approche confortable en termes d'identification, puis glissait dans sa deuxième heure vers un terrain plus ambigu et dérangeant via le personnage (et la performance) de Hugh Jackman. De son côté, le cinéaste australien Ben Young risque de subir injustement la comparaison, alors qu'il explore un autre terrain en partant d'une idée similaire...
Pitch simplissime pour résultat estomaquant : un couple spécialisé dans la séquestration d’adolescentes traque sa nouvelle proie. D’entrée de jeu, Love Hunters met mal à l’aise avec ses ralentis sophistiqués sur le quotidien d’une bourgade qui semblerait rassurante sans ce traitement formel. Car la caméra s’attarde également sur une silhouette qui, depuis sa voiture, observe attentivement des lycéennes en plein cours de sport. Rarement a-t-on senti une telle ambiance dès le début d’un long-métrage, et c’est là son premier tour de force. Tandis que l’on s’attend à un déferlement de sadisme, Ben Young joue du hors-champ et de l’attente avec un art consommé du suspense. Autour d'une histoire de séquestration vue mille fois, le montage bâtit un triangle amoureux instable entre le couple de ravisseurs et la pauvre Vicki, rapidement inclue à des scènes de ménage où elle joue sa vie. Grand moment de tension à petit comité, le long-métrage brille également lorsqu’il s’aventure à l’extérieur ou qu’il s’attarde sur la famille de Vicki, déjà morcelée avant ce fait divers. Qualité supplémentaire, le script a la riche idée de faire glisser progressivement son point de vue du personnage mâle à sa compagne tortionnaire – étonnant sosie white trash de Jennifer Lawrence, comme si le personnage qu’elle interprétait dans Winter’s Bone n’avait jamais quitté son bourg.
Sur le papier, c’est un simple équilibre narratif entre les trois personnages. Une fois à l’écran, le procédé souligne la fragilité psychologique du couple, deux belles ordures dont on suppose, sans certitude, la domination d’un des deux partenaires sur son complice. Ainsi, le public passe le plus clair de son temps en compagnie de l'adolescente entravée, et assiste impuissant à un supplice psychologique dont les réactions épidermiques de l’héroïne, à bout de forces et folle de terreur, se substituent magistralement au gore attendu. Il faut voir comment le cinéaste gère la scène d’enlèvement, rythmée par le sublime Nights in Whie Satin des Moody Blues et conclue par un plan fixe bouleversant où Vicki, réalisant ce qui se passe, hurle désespérément au fin fond du cadre. Depuis le controversé Martyrs de Pascal Laugier, aucune production horrifique n’avait réussi à m'émouvoir par le sentiment de détresse qu’il suscite, et c’est peu dire qu’on ressort sonné de l'expérience.
Comme dit plus haut, Love Hunters ne va sûrement pas faire l'unanimité. Son approche de l'horreur, à la fois prégnante et stylisée, pourra rebuter jusqu'aux spectateurs les plus endurcis ("Ce film est un déchet", pouvait-on entendre après la projection !). Et, comme dit plus haut également, Love Hunters se distingue donc de Prisoners en se plaçant non pas du côté des enquêteurs, mais uniquement aux deux extrêmes du récit : kidnappeurs et kidnappés. Pas d'histoire de magot ou de vengeance à la clé, Ben Young dégraisse au maximum les artifices narratifs et secoue le spectateur consentant en le plaçant à proximité de ce qu'il est venu chercher, soit une histoire centrée sur la peur de son personnage central - d'ailleurs magnifiquement rendue par la prestation d'Ashleigh Cummings.
Le résultat doit beaucoup à l'alchimie de la comédienne et de ses comparses plus âgés, en particulier lors d'une scène inoubliable où Ben Young, délesté de tout artifice gore, filme au plus près les soubresauts incontrôlables de son héroïne prise au piège. Voilà d'où vient peut-être la réputation de Love Hunters et son interdiction au moins de 16 ans. Après des années de torture porn (vague aujourd'hui portée disparue) son approche nous ramène sur le terrain des réactions plutôt que de l'action. Chemin faisant, le metteur en scène arrive - chose rare - à tutoyer le voyeurisme pour nourrir instantanément notre sentiment d'empathie.
Un petit film ? Sans doute. Mais en ce qui me concerne, une très grande réussite du cinéma d'horreur australien récent aux côtés de The Loved Ones et Wolf Creek 2, mais sans imiter leur humour noir latent. Contrairement à ses deux grands frères (pour le coup bien gore, eux), Love Hunters bénéficie d'une sortie au cinéma. La salle de cinoche, on s'en rend compte après coup, participe très clairement à l'immersion recherchée par le réalisateur. Voilà donc l'occasion idéale d'affronter une violence que les personnages de ce récit cruel rendent froidement, désespérément ordinaire.