La Réprouvée !
La longue introduction est, pour moi, la meilleure partie de ce film de Kōji Fukada. Tout est lié, jusqu'à la moindre touche de couleur vive, à l'apparence du bonheur. Pourtant, quelques anicroches...
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le 15 juin 2023
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Bien qu’en anglais, le titre est très parlant. Ce que nous annonce Fukada, c’est sa foi en la vie et l’amour, même si Love life nous montre que la vie n’est pas qu’une succession de bons moments à côtoyer celles et ceux qu’on aime.
Le film est centré sur Taeko (Fumino Kimura, impeccable), charmante jeune femme de 34 ans mariée depuis peu avec Jirô Ozawa (Kento Nagayama, un peu neutre). Avec eux, vit Keita (Tetta Shimada, parfait de naturel), un garçon de 6 ans. On comprend rapidement qu’il n’est pas le fils de Jirô, bien qu’il l’appelle papa. Cette famille vit dans un appartement relativement petit mais bien arrangé (à l’occidentale, notamment pour la table où la famille prend ses repas) et lumineux, dans un grand ensemble où les communs (escalier et couloirs) sont en extérieur. Il semble que cela contribue à un certain état d’esprit, car on observe Taeko échanger quelques mots avec une voisine d’en face. C’est même assez étonnant dans un film japonais, car Taeko crie pour se faire entendre. Autre détail surprenant, cette femme demande à Taeko si son mari est chez elle, comme s’il avait l’habitude de venir voir la jeune femme. En fait, il s’agit de la mère de Jirô et elle se demande si le père n’est pas venu voir son fils. D’ailleurs, autre détail qui a son importance, l’appartement appartient aux parents de Jirô.
La première partie du film
Quasiment parfaite, elle montre la vie de la famille Ozawa. On découvre en particulier la belle complicité entre Taeko et le petit Keita qui affiche déjà une étonnante personnalité. Ainsi, il fait remarquer à sa mère que, régulièrement, elle se montre un peu distraite, ce qu’il a remarqué sur un détail qui s’est déjà renouvelé trois fois depuis le début de l’année. Avec un certain amusement, elle s’obstine à nier. Par contre, lui se souvient des noms des collègues de Jirô invités au mariage, sauf Yamazaki malade ce jour-là. Et puis, Keita vient de remporter une compétition d’Othello, un jeu de société combinatoire abstrait qui se joue sur un échiquier classique avec des jetons bicolores (une face noire, l’autre blanche), ce qui rend les parties compréhensibles pour tout spectateur connaissant les règles du jeu. Keita s’entraine sur ordinateur et joue régulièrement avec sa mère. Cela donne lieu à une scène très amusante, car tous deux communiquent par signes, le sous-titrage nous permettant de comprendre pourquoi Keita préférerait ne pas jouer avec Jirô. On comprendra plus tard comment et pourquoi ils ont pris cette habitude d’utiliser un langage à destination des sourds et muets.
Dans la famille, quelque chose se prépare plus ou moins discrètement : l’anniversaire du père de Jirô. Ce jour-là, avec sa femme, ils arrivent à l’appartement, invités pour le déjeuner. Mais on sent rapidement le malaise. En effet, le père de Jirô en veut beaucoup à Taeko, au point qu’il se montre incapable de lui faire face, même en s’asseyant à table. À vrai dire, on sait déjà pourquoi, grâce à ce qu’on a vu et entendu dans quelques scènes précédentes. Sauf que c’était toujours par des échanges entre collègues de Jirô et par des phrases du type « il paraît que… » ou « tu savais que… ? » qui pouvaient très bien être prises pour des ragots. En fait, Taeko commence à peine à faire la conquête de son beau-père quand l’imprévisible se produit.
Cela entraine une rupture totale de ton dans le film qui, jusque-là, est bien en rapport avec l’affiche : coloré, lumineux, enjoué, avec une caméra discrète qui met bien en valeur les lieux et les déplacements des personnages, passant avec une grande aisance de l’un à l’autre. Tout aussi remarquable sur cette première demi-heure environ, le scénario (signé Koji Fukada) apporte très naturellement les informations permettant de comprendre les enjeux posés.
Deuxième partie
La suite va nous confirmer que derrière cette ambiance agréable, des zones d’ombres subsistent et peuvent apporter de graves nuisances à un équilibre fragile. Taeko pensait pouvoir profiter d’une vie de famille épanouissante, aussi bien pour elle que pour Keita et Jirô. En fait, elle pensait pouvoir oublier le passé. Mais, au vu des circonstances, elle se montre bien obligée d’admettre que Jirô n’est pas le père de Keita. Or, ce père, Park (Atom Sunada) réapparaît et ce n’est évidemment pas par hasard. Que cet homme fasse bien pâle figure auprès de Jirô n’a qu’une importance toute relative, car sa position de père parle pour lui. Sans compter tout ce qu’il a vécu avec Taeko.
Ainsi, par la force des choses et parce que les circonstances l’y incitent, Taeko se rapproche à nouveau de lui. En fait, Taeko ne supporte pas de le sentir en position de faiblesse et elle cherche à comprendre pourquoi il l’a quittée (allant jusqu’au divorce). Et c’est pour des raisons assez similaires que, de son côté, Jirô se rapproche de Yamazaki, sa collègue qu’il devait épouser.
On comprend d’ailleurs que le gentil Jirô et la douce Taeko ne sont pas si clairs que cela, car tous deux sont capables de mentir, au moins par omission (et je ne parle même pas de leur rapprochement aboutissant au mariage que l’on sait, laissé à notre imagination).
Entre ombre et lumière
Bien entendu, les jeux de l’amour et du hasard qui gouvernent nos vies se retrouvent ici. Ceci dit, les errements de Jirô et Taeko ne surprennent pas tant que ça, surtout dans un film de Koji Fukada qui, au début de sa carrière, fut présenté comme une sorte de Rohmer version japonaise (illustration de la fascination réciproque entre les cultures japonaise et française). Le meilleur est donc à mon avis dans la première partie, même si Fukada s’arrange ensuite pour apporter beaucoup d’émotion. Le cinéaste nous faire sentir qu’il faut du temps et probablement des erreurs pour accepter le destin et retrouver le goût de la vie suggéré par le titre et mis en évidence par la chanson au titre éponyme, interprétée par Akiko Yano. Vrai regret quand même, l’origine et la personnalité du père de Keita auraient mérité un développement plus approfondi. Au crédit du réalisateur, ajoutons sa capacité à nous montrer son pays par petites touches, aussi bien physiquement (quelques intérieurs, mais aussi des extérieurs, diurnes et nocturnes), que psychologiquement (dans la cellule familiale ainsi qu’au travail). Enfin, le Japon compte lui aussi des sans-abri et des services d’action sociale.
Critique parue initialement sur LeMagduCiné
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Créée
le 12 juin 2023
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