Petit retour en 2010 , après avoir enchaîné 4 films monstrueux en matière de spectacle, de budget, de logistique et de somme de travail (La trilogie du Seigneur des Anneaux et King Kong) Peter Jackson souhaitait revenir à un projet avec une dimension bien plus humaine. Si les fans de la première heure espérait secrètement voir ce bon Peter Jackson revenir vers le film gore c'est plutôt du coté du drame à tendance fantastique que le génial réalisateur néo-zélandais a décidé de s'orienter pour livrer un film dans la veine de son magnifique chef d'œuvre Heavenly créatures.


Lovely Bones raconte l'histoire de Susie Salmon une jeune fille de 14 ans tuée par un homme aux pulsions meurtrières et sexuelles orientées particulièrement vers les adolescentes et les jeunes filles. D'une sorte de no mans land perdu entre ciel et terre, la jeune fille observe alors les répercutions de sa mort sur ses proches et espère voir son meurtrier puni avant de totalement disparaître.


Ce serait bien peu dire que Lovely Bones est un film d'une grande richesse thématique, Peter Jackson livre un film totalement hybride appartenant à divers genre cinématographique tout en conservant une cohérence absolue dans son récit. Aucuns des différents aspects du film ne sera négligés, on ne trouvera pas un aspect plus faible qu'un autre, aucun aspect ne prendras jamais réellement le pas sur les autre et tout finira au bout du compte par se compléter pour livrer une œuvre cinématographique aussi dense et intelligente que magnifiquement émouvante. Car le premier miracle de Lovely Bones est d'être tout à la fois un thriller étouffant, un film onirique et fantastique, un poignant drame familiale et humain, une romance adolescente et une formidable réflexion sur le deuil avec quelques traits de comédies arrivant comme des respirations salvatrices et toujours maîtrisées. Si le fond est aussi intense c'est aussi pour la simple raison que la forme est superbe et Peter Jackson livre avec Lovely Bones un modèle de mise en scène, une sorte de manifeste de perfection graphique et narrative n'en déplaise aux esprits chagrins qui n'auront retenus du film que quelques séquences un peu guimauve.


Lovely Bones est donc un thriller puisqu'il prend pour cadre un meurtre et une enquête policière visant à retrouver un assassin même ci ce dernier est assez vite clairement identifié. Peter Jackson choisit l'option payante de montrer un meurtrier à visage humain dont les comportements sont totalement ancrés dans un quotidien des plus banal. En refusant la figure classique du serial killer flirtant avec la folie Lovely Bones propose un meurtrier d'autant plus inquiétant qu'il ressemble à monsieur tout le monde et donc n'importe qui. Il faut saluer la belle performance de Stanley Tucci dans le rôle de George Harvey qui incarne avec force ce monstre à visage humain capable d'amabilités timides comme d'une froide détermination lorsqu'il répond à ses pulsions meurtrières. George Harvey est un personnage dont la vie semble être entièrement conditionnée par des pulsions qu'il tente de canaliser en s'occupant l'esprit et les mains par la fabrication de maisons de poupées. Lorsque la pulsion et l'envie de meurtre qui s'accompagne explicitement par une pulsion sexuelle s'empare de lui George reste tout aussi froid et méthodique pouvant élaborer des plans et une méthodologie minutieuse avant d'arriver à ses fins. Un homme froid, inquiétant, déterminé mais jamais clairement identifiable au premier regard comme un tueur, Peter Jackson joue d'ailleurs assez brillamment avec le regard de « détective » des spectateurs au tout début du film lorsque le personnage de Susie nous informe au milieu d'une scène que le tueur était déjà là présent à l'observer. Fatalement le spectateur cherche et regarde attentivement les personnages suspects au second plan puis on repère assez vite un homme sur lequel Jackson oriente avec malice notre regard, Peter Jackson a alors réussit son coup et capté toute notre attention, il en profite pour retourner nos a priori en nous montrant que l'homme que l'on voulait soupçonner est en fait un modèle de bonté et de générosité; une façon assez ludique et brillante d'introduire l'image ordinaire de son tueur. Si Lovely Bones ne propose pas de suspens particulier au niveau de son enquête en revanche Peter Jackson propose des scènes de tension extrêmement efficaces digne des meilleurs thriller. La rencontre et la confrontation entre Susie et son meurtrier dans une sorte de cabane pour enfants dont le décor ressemble au fil du temps à celui d'un film d'horreur est particulièrement tendue et éprouvante. On pourrait aussi citer cette séquence durant laquelle la sœur de Susie explore la maison du tueur à la recherche de preuves alors que celui ci vient de rentrer chez lui. Une séquence certes ultra classique et même un peu cliché diront certains mais redoutablement efficace en matière de suspens et de mise en scène, Peter Jackson jouant avec délice sur un silence plombant puisque le moindre petit bruit pourrait trahir une présence étrangère dans la maison.


Lovely Bones est aussi un drame et comment pourrait il en être autrement lorsque l'on traite de la perte d'un enfant dans des circonstances aussi tragiques et horribles que celles d'un assassinat. Sans jamais sombrer dans une forme appuyée de mélodrame Peter Jackson livre avec Lovely Bones sans doute son film le plus émouvant et beaucoup de spectateurs auront sans doute comme moi un nœud dans la gorge et une boule dans le ventre lors du final du film qui est non seulement chargé d'émotions à l'image mais aussi dans le discours qu'il porte à la fois sur le deuil et sur le souvenir. Cette émotion est bien évidemment portée par des acteurs formidables comme Mark Whalberg dans le rôle du père ravagé de douleur et de colère et Rachel Weisz totalement bouleversante dans celui de la mère impuissante à gérer toute cette douleur. Et puis le film est portée totalement par la voix et la présence parfois presque fantomatique et touchante de Susie interprétée avec une justesse désarmante par la formidable et solaire Saoirse Ronan dont la voix off mélancolique berce tout le film d'une tristesse imparable aussi pure que le bleu infini de son regard. Au détour d'une seule scène Peter Jackson réussit parfois à émouvoir jusqu'aux larmes comme lorsque Susie énumère froidement dans un univers d'une noirceur et d'une tristesse infinie les différentes victimes de son propre assassin jusqu'à finir par son propre décès. Mais c'est bien sur le regard que le film porte sur le deuil et le souvenir que Lovely Bones prend des dimensions de chef d'œuvre, de ses films qui dépassent de loin le cadre d'un écran pour venir vous toucher au plus intime. Cet entre deux mondes perdus dans l'horizon, cet endroit dans lequel Susie reste comme prisonnière n'est pas comme dans une grande majorité des films fantastique uniquement un univers dans lequel un personnage se retrouve captif du fait qu'il refuse de mourir mais également un endroit dans lequel restent captifs les gens qui demeurent trop viscéralement agrippés à nos esprits et nos souvenirs. Des souvenirs qui peuvent devenir des obsessions qui se pervertissent alors en besoin de vengeance, des souvenirs qui peuvent détruire des couples et qu'il faut alors laisser s'envoler comme des esprits qui n'ont plus de raisons d'être sur terre. Cette image du souvenir retenant prisonnier les esprits de ceux que l'on aime sur terre en les condamnant à ne jamais atteindre le paradis est juste merveilleux. Sans avoir de conviction religieuse, sans croire à un paradis ou un au-delà quelconque Lovely Bones est un film magnifique sur le deuil, sur ce tiraillement intime entre un oublie coupable et un souvenir tellement affligeant de tristesse qu'il ne pourra qu'être destructeur. Pourtant Peter Jackson semble refuser que son film soit porteur d'un unique désespoir et il montre aussi que le deuil, la mort, le souvenir peuvent être des actes libérateurs presque de rédemption et que la vie et l'amour peuvent transcender les pires épreuves et que sur des ossatures de tristesses infinis peuvent se construire les colonnes vertébrales de nos futurs et de no futur.


Lovely Bones est aussi un film fantastique puisqu'il prend pour cadre un endroit perdu entre ciel et terre, une sorte de purgatoire onirique existant autant par l'imaginaire de ceux qui y vivent que par la puissance évocatrice des souvenirs de ceux qui nous y retiennent. Peter Jackson livre un univers absolument magnifique, emprunt de poésie et d'un surréalisme entre Dali et Magritte avec des bateaux en bouteilles qui viennent se fracasser sur des roches, des arbres dont le feuillage est composé de milliers d'oiseaux verts qui s'envolent soudain pour laisser derrière eux un arbre mort, des paysages purs et colorés, des images puissantes d'une grande force à la fois graphique et symbolique. Car cet entre deux mondes est un univers qui varie souvent selon les sentiments des esprits qui en prennent possession. C'est un monde coloré, ludique proche de celui d'un conte de fée lorsque qu'il est habité essentiellement par l'esprit de Susie et par son innocence. Puis beaucoup plus sombre et inquiétant lorsque ce monde devient façonné par les souvenirs emprunt de colère de son père ou par la tristesse de sa mère. Un univers qui peut autant ressembler à une illustration pastel d'un livre pour enfants qu'à une séquence sortant directement d'un film d'horreur comme lorsque Susie comprends sa fin tragique en observant son meurtrier prenant un bain un linge sur le visage dans un univers blanc maculé uniquement de tâches de boue et de sang. Cet univers onirique changeant fait penser parfois à la plastique sublime des film de Tarsem Singh ou à l'univers de Paperhouse le film de Bernard Rose. Tour à tour poétique, onirique, inquiétant, effrayant, rococo, naturaliste, baroque, surréaliste, sombre, coloré l'univers de Lovely Bones est à l'image de son récit complexe et multiple mais toujours parfaitement cohérent. Et si la richesse visuelle du film ne vous convainc pas , amusez vous à noter toutes les correspondances visuelles, tous les indices que Peter Jackson cache dans ses images et qui font références aux différentes jeunes filles mortes assassinées comme l'arbre en forme de flûte, le chapeau ou le ballon.


Si dans l'ensemble Lovely Bones est un drame assez sombre et émouvant il n'empêche que Peter Jackson offre aux spectateurs quelques respirations amusantes essentiellement par le biais du personnage fantasque de la grand mère de Susie interprétée par Susan Sarandon. Une sorte de Desperate housewive qui picole et fume tout le temps et qui vient apporter un peu de vie dans cette famille rongée de l'intérieur par le poids du décès de leur fille. Cette grand mère est certes une sorte de bouffée d'air frais dans le film, mais c'est aussi un personnage à part entière qui aura une importance capitale dans le récit, elle n'est pas juste là gratuitement pour faire sourire. C'est entre autres choses elle qui fera prendre conscience au personnage de Rachel Weisz qu'elle vit dans une maison avec une pierre tombale au milieu de la salle à manger. Pas aussi impliqué viscéralement dans l'émotion du deuil c'est aussi vers elle que se tournera la sœur de Susie pour tenter de confondre son meurtrier. De manière plus légère on notera un clin d'œil très appuyé à Lord of the Ring et la traditionnelle apparition de Peter Jackson tenant une caméra à la main dans une boutique photo.


Je sais que l'on reproche souvent au film ses visions un peu kitsch et pastels, parfois assez naïves mais pour peu que l'on regarde le film avec le prisme de sa sordide réalité, vous n'y verrez alors que des gamines mortes dans des conditions sordides qui tentent d'oublier dans l'imaginaire de leur propre enfance qu'elles sont mortes avant même d'avoir vécues. Le film comporte d'ailleurs une scène magnifique lorsque Susie pleure de joie et de désespoir en regardant sa jeune sœur embrasser un garçon alors qu'elle n'aura pas eu le temps de le faire. Derrière toutes les couleurs , les danses, les déguisements, les lumières se terrent les fantômes de gamines mortes et c'est précisément en cela que si certains ont trouvé le film bien trop bonbon et guimauve c'est peut être qu'ils n'ont simplement pas pris le temps de croquer dans ses sucreries pour constater le goût de mort, de sang et de terre caché sous une si fine pellicule acidulée.


Pour ma part je vais tout juste reprocher à Lovely Bones quelques personnages secondaires d'un moindre intérêt comme Holly qui vient guider Susie dans l'entre deux mondes ou le personnage du flic pourtant brillamment interprété par Michael Imperioli (Les Soprano) qui traverse le film sans grande implication. Le sort final réservé au tueur qui prend presque la forme d'un gag hasardeux pourra également décevoir bon nombres de spectateurs tout comme cette représentation un peu convenue du paradis avec l'inévitable lumière blanche. Mais ce ne sont que des petites broutilles par rapport à l'émotion et la puissance du film et il serait bien malhonnête de se focaliser uniquement sur ces quelques éléments.


Je sais que Lovely Bones est loin d'être le film préféré des fans de Peter Jackson mais pour moi c'est au contraire l'un de ses tout meilleurs films et peut être même le plus émouvant.

Créée

le 20 avr. 2021

Critique lue 690 fois

3 j'aime

Freddy K

Écrit par

Critique lue 690 fois

3

D'autres avis sur Lovely Bones

Lovely Bones
cloneweb
5

Critique de Lovely Bones par cloneweb

Soyons franc dès le début : Lovely Bones est une déception. Et pourtant le nouveau film de Peter Jackson avait tout pour nous séduire : une histoire intéressante, quelques grands noms au générique...

le 19 mars 2010

36 j'aime

2

Lovely Bones
Unefillegeniale
8

Here I am...

Je suis un peu partagée, en ce qui concerne Lovely Bones. D'un côté, j'ai envie de dire que c'est un chef d'œuvre, dans le sens où ce film déborde de poésie et d'émotion, et ne trouve son semblable...

le 7 mars 2011

25 j'aime

4

Lovely Bones
SUNSELESS
6

Un film porté sur l'esthétique et l'émotion.

Lovely Bones, c'est l'histoire d'une fille de 14 ans, Suzie, qui fut assassinée et qui demeure désormais dans les limbes, d'où elle observe le monde des vivants. La mise en scène est particulièrement...

le 20 janv. 2011

23 j'aime

3

Du même critique

Orelsan : Montre jamais ça à personne
freddyK
8

La Folie des Glandeurs

Depuis longtemps, comme un pari un peu fou sur un avenir improbable et incertain , Clément filme de manière compulsive et admirative son frère Aurélien et ses potes. Au tout début du commencement,...

le 16 oct. 2021

77 j'aime

5

La Flamme
freddyK
4

Le Bachelourd

Nouvelle série création pseudo-originale de Canal + alors qu'elle est l'adaptation (remake) de la série américaine Burning Love, La Flamme a donc déboulé sur nos petits écrans boosté par une campagne...

le 28 oct. 2020

55 j'aime

5

La Meilleure version de moi-même
freddyK
7

Le Rire Malade

J'attendais énormément de La Meilleure Version de Moi-Même première série écrite, réalisée et interprétée par Blanche Gardin. Une attente d'autant plus forte que la comédienne semblait vouloir se...

le 6 déc. 2021

44 j'aime

4