Après avoir été séduit par les excellents "Take Shelter" et "Mud", et avoir adoré le très surprenant "Midnight Special", je suis allé voir "Loving", le dernier film de Jeff Nichols, sur la seule base de son nom et de la confiance que j'avais en son cinéma... Et si on y retrouve la patte du cinéaste, son art du cadrage et des ambiances, je n'ai malheureusement pas vraiment aimé ce nouveau film, alors que j'aurais pourtant voulu qu'il me saisisse et me transporte.
Nichols s'intéresse ici à un épisode fondamental de l'Histoire des Etats Unis et de la lutte pour les Droits Civiques : le procès qu'intenta le couple Mildred et Richard Loving à l'Etat de Virginie afin de faire déclarer anticonstitutionnelle toute loi ou décision juridique limitant ou interdisant le mariage à des personnes de couleurs de peau différentes. Procès qui fit jurisprudence outre-Atlantique et ouvrit la porte aux mariages inter-raciaux à l'échelle nationale, car tenu à la Cour Suprême.
Un sujet intéressant, mais que Nichols décide de traiter au travers du prisme de la vie intime de ses deux personnages principaux. Sa caméra se pose au plus près de Ruth Negga et de Joel Edgerton, qui les incarnent avec talent et simplicité. Leur relation est vraiment touchante, et l'on s'identifie sans peine à ce grand blond passionné de mécanique qui bâtit des maisons et voudrait en construire une pour l'élue de son coeur, tout comme à cette frêle et discrète jeune fille Noire qui recèle sous ses dehors de douceur une grande détermination. On est donc légitimement révolté lorsque le shérif local les arrête au seul motif qu'ils se sont mariés hors de l'Etat, et fait peser de terribles menaces sur leurs familles respectives. Tout comme on est ulcéré par le juge qui les condamne à choisir entre la prison et l'exil hors de l'Etat de Virginie.
Là où le bât blesse à mon sens, c'est dans certains travers de mise en scène commis par Nichols, et qui m'ont vraiment déçu de sa part. Par exemple, il esquisse un début de critique des procédés utilisés par des avocats jeunes et ambitieux pour se saisir du cas des Loving afin de se faire un nom et une réputation en tant que défenseurs des Droits Civiques, mais n'approfondit jamais vraiment cet aspect. Il se contente au contraire de petites allusions, de quelques plans un peu équivoques, qui rendent la question trop superficielle. De même, il use et abuse de faux effets de suspense pour faire monter de façon factice une tension visant à capturer l'attention du public, alors qu'au final il n'y avait pas lieu de susciter une telle inquiétude. La faute sans doute à une volonté de rester le plus fidèle possible à l'histoire réelle du couple Loving, qui n'était en fait pas si trépidante que ça, juste émouvante et importante sur le plan historique. En résulte un film qui selon moi n'assume pas totalement son sujet, comme s'il craignait de n'être pas assez intéressant faute de rebondissements. Et c'est justement ce qui le rend au final un peu bancal alors que sans ces artifices et avec une approche soit plus historique soit encore plus intimiste et émotionnelle, il aurait pu être un grand film vraiment bouleversant et marquant.
Au lieu de quoi, "Loving" n'est en fin de compte qu'un film moyen, avec de beaux moments mais un petit goût d'inachevé, de trop ou de trop peu... Dommage!