Si l'histoire est ancrée dans une réalité historique, la manière dont Jeff Nichols la met en forme la rend à la fois universelle et intemporelle. Récit d'amour, de patience et d'obstination, Loving comprime une émotion qui surgit parfois en de fulgurantes irruptions.
Le scénario chasse tout sentimentalisme en refusant d'avancer à coup de scènes édifiantes et d'éclats dramatiques. Factuel et précis, il conjugue scènes clés, transitions et ellipses en nourrissant un mouvement continu, flux de colères contenues et de renoncement feint. Le spectateur partage ainsi le destin des Loving sans tomber dans le guet-apens habituel de l'histoire édifiante parce que vraie. La sobriété revendiquée permet autant de mettre le sujet en perspective que de saisir les sentiments et les motivations de Mildred et Richard. Cette manière de prendre de la distance par une narration presque clinique donne au film une puissance indiscutable.
Chaque plan est renversant de beauté. La photographie sublime et la précision du cadre soutiennent le récit dans cette même volonté d'épure et de précision. Dans son classicisme assumé, la mise en scène de Jeff Nichols nourrit un souffle romanesque qui dépasse le contexte du film. Moteur des personnages, l'amour leur donne la force de tenir, de supporter et d'attendre. Il s'agit alors de capter les regards, les gestes et les démarches pour ressentir une émotion grandissante, immense, grisante.
Ruth Negga offre à son personnage grâce et détermination. C'est elle qui porte le film et donne la marche à suivre. L'émancipation de Mildred est double, c'est celle d'une femme et d'une femme noire. Consciente d'avoir tout à gagner et si peu à perdre, elle garde la tête haute tout en restant patiente, convaincue que son mari ne la trahira pas. Rustre et parfois dépassé, homme d'un bon sens terrien porté par l'amour sans limite qu'il porte à sa femme, Richard trouve en Joel Edgerton l'interprète idéal.
La justesse du parti pris formel et narratif confirme, après Midnight special, l'excellence d'un cinéaste qui s'impose comme un véritable auteur. D'une dignité sans faille, profond et beau, Loving bouleverse avec grâce.