LUCKY (14,5) (John Carroll Lynch, USA, 2017, 88min) :
Ce délicat portrait d'un vieil homme de 90 ans, dépeint la vie quotidienne de ce "lonesome cowboy" habitant dans un patelin poussiéreux et morne, au milieu du désert. Pour sa première réalisation l'acteur John Caroll Lynch par le biais d'une intrigue minimaliste sur les peurs existentielles au crépuscule d'une vie décide d'offrir un émouvant hommage à Harry Dean Stanton en forme de lettre d'amour cinématographique. Une magnifique reconnaissance pour cet acteur hors du temps, traversant pendant 60 ans le cinéma américain de sa silhouette frêle, son visage buriné avec ses casquettes régulièrement vissées sur sa "tête de chercheur d'or" (comme le disait le journaliste Philippe Garnier) de Paris, Texas (1984) en passant par Alien, le huitième passager (1979) et vibrant dans les délires lynchiens de Sailor et Lula (1990) jusqu'à la dernière saison de Twin Peaks (2017). Malheureusement ce singulier second couteau a rendu lame le 15 septembre dernier. Cette funeste nouvelle amène une émotion particulière à cette œuvre devenue testamentaire contre son gré, et dont l'essence du film carbure de manière autobiographique par rapport au passé, à la personnalité et aux anecdotes de l'acteur (souvenir de guerre du pacifique, bilan et philosophie de vie...). Au début du film posthume, une mention "Harry Dean Stanton is Lucky" renforce cette ironie. Lucky suit donc la vie au jour le jour de ce nihiliste athée remplie d'immuables rites quotidiens (réveil, enfilage de chaussons aux pieds, clopes, exercice physique, enfilage de sa tenue de cowboy, café au diner, balade à l'épicerie du coin, jeux télévisés, mots croisés, verre de bloody mary avec les connaissances...) tout le monde connaît cet homme libre penseur qui a peur de ses semblables. La mise en scène élégante, se colle au plus près avec pudeur dans les multiples habitudes, ou opère en grand angle lors de déambulations à pas de tortue, apportant une touche western à ce récit bienveillant sur l'apaisement avant la fin de vie. Le réalisateur opte pour une narration contemplative et un récit parfois trop balisé, avec successions de scènes répétitives, pour nous offrir à travers cette histoire manquant aussi un peu d'intrigue, une errance métaphysique, un éloge triste et solaire envers le touchant Harry Dean Stanton. En cela le film est délicieux lors de plusieurs séquences émouvantes, notamment lorsque la voix de Johnny Cash vibre sur "I see a darkness" et lors d'un anniversaire mexicain où un titre mariachi est chanté par l'acteur lui-même ouvrant les fêlures et la vulnérabilité de Lucky, avant de passer de l'autre côté...Pour sa dernière interprétation Harry Dean Stanton est bien accompagné par un casting épatant avec notamment David Lynch en malheureux propriétaire de cette tortue centenaire qui s'est fait la malle pour partir vers un ailleurs, métaphore pudique de la trajectoire qui attend Lucky/Harry Dean Stanton. Lors d'une ultime séquence, l'acteur regarde vers l'horizon, s'allume une dernière cigarette et sort du cadre...Définitivement...Venez accompagner avec amour cette dernière balade, hymne à la vie, à la mort, pour garder indélébile le souvenir de Lucky. Sensible. Poétique. Attachant.