Parce qu’il se plaît à confondre les époques et leurs modes, à transformer l’abstraction contemporaine en réservoir sanglant d’un pop art jouissif, Lucky Day réussit à imposer un univers à la fois curieusement balisé et farouchement personnel, fruit d’une maîtrise de la mise en scène et surtout d’une gestion du temps qui confère à chaque séquence sa durée appropriée, son microclimat à elle. C’est une œuvre emprunte de folie douce, de cette folie qui menace à tout moment d’exploser et dont la rétention – chose surprenante dans un cinéma de genre habitué aux effusions à gogo – provoque un suspens plutôt efficace. Elle peut compter sur des personnages que Roger Avary brosse non sans une certaine profondeur, du moins avec ce qu’il faut de personnalité pour les rendre aussitôt attachants ; même ce tueur fou accro aux voitures vintage parvient à échapper à la caricature alors qu’il s’agit, comme l’ensemble du personnel dramatique ici, d’une caricature à proprement parler.
En jouant avec les codes du film noir décomplexé, le réalisateur finit par s’affranchir de sa démarche première pour atteindre un je-ne-sais-quoi de virtuose, oui de virtuose. Alors c’est peut-être pas grand-chose. Mais assister à une proposition de cinéma bis qui, sous couvert de parodier un genre, le redynamise (et qui le fait avec la french touch, s’il vous plaît), s’avère suffisamment audacieux et intrigant pour nous inviter à (re)découvrir ce Lucky Day injustement sous-estimé.