Après le succès planétaire du Parasite de Bong Joon-Ho, le cinéma coréen a de nouveau eu le vent en poupe et certains films du pays du matin calme ont eu droit à leur sortie en salles un peu partout. C’est le cas de Beasts Clawing at Straws, rebaptisé Lucky Strike pour son exploitation à travers le monde (changer un titre anglais par un titre anglais, je ne comprendrai jamais…), qui est même arrivé chez nous cinq mois à peine après sa sortie en Corée du Sud et après avoir tourné dans pas mal de festivals. Premier et seul film pour le moment de Kim Young-Hoon, qui a depuis signé la série Mask Girl sur Netflix, Lucky Strike est basé sur un roman japonais de Sone Keisuke. Pourtant, c’est bien l’influence du cinéma américain de Quentin Tarantino et des frères Coen qui ressort du film où des personnages qui n’ont rien à voir les uns avec les autres vont finir par se rencontrer à cause d’un sac rempli d’argent et qui va servir d’intrigue pour relier les différentes histoires qui composent le scénario. Alors oui, c’est du déjà vu, mais c’est plutôt bien fait.
Comme dit ci-dessus, Lucky Strike va tourner autour d’un sac Louis Vuitton rempli d‘argent liquide que Joong-Man, employé de sauna, trouve dans un casier abandonné au travail. Alors qu’il voit dans ce sac une chance d’échapper à sa vie pénible, entre une mère autoritaire, une femme en colère et un travail pénible, d’autres personnes toutes aussi déterminées à acquérir cette fortune vont faire leur apparition. Le film nous raconte en gros trois histoires qui vont être liées entre elles, mais la façon dont elles vont s’enchainer, au niveau de la temporalité essentiellement, va être une force du film. La narration pourra paraitre assez complexe au début, volontairement déconstruite pour mieux se reconstruire dans sa deuxième moitié. Chaque minute va demander de la concentration afin de prêter suffisamment d’attention aux différents détails et, lorsqu’on comprend la direction que le film veut prendre, on a ce sentiment de satisfaction. Malheureusement, comme cette première partie est relativement longue et même assez lente, certains spectateurs un peu moins attentifs pourront être laissés sur le carreau. Parce qu’il faut du temps pour que l’histoire s’emboîte complètement. La mise en place précise des évènements n’est pas vraiment claire une bonne partie du film et cela demande pas mal de patience pour que les péripéties se déclenchent réellement. L’histoire est divisée en chapitres, chaque partie montrant des bribes de l’histoire individuelle de chaque personnage. Au final, le film n’a rien de surprenant et on se surprend justement, malgré la complexité apparente du scénario, à deviner ce qu’il va se passer. Mais on se prend au jeu car la mécanique est bien huilée et, même s’il s’agit d’un premier film, le réalisateur Kim Young-Hoon a déjà toutes les billes pour proposer un divertissement, mixant thriller et humour noir, de bonne facture.
Les personnages sont volontairement stéréotypés pour être bien caractérisés et différents les uns des autres. Citons, outre notre employé de sauna, un fonctionnaire des douanes véreux au crochet d’un gangster pour une dette contractée par sa femme disparue ; une escort-girl fatiguée, battue par son mari et prête à se venger et à faire une arnaque à l’assurance ; la patronne de l’escort-girl qui sait ce que c’est que d’être blessée par les hommes ; un policier un peu trop envahissant à l’esprit déductif un peu trop poussé ; ou encore un mafieux compréhensif mais qui aime bien couper des mains. Tous naviguent entre désespoir, cupidité et manigances. Difficile malheureusement de s’attacher à eux. Hormis Joong-Man, pauvre type à qui la vie ne fait pas de cadeau, tous ont des pets de travers et sont avides de pognons, prêts à tout pour récupérer ce fameux sac. Le casting est d’ailleurs absolument impeccable, avec une mention toute particulière pour Jeon Do-Yeon (Emergency Declaration, Untold Scandal), superbe en femme qui maitrise de bout en bout son rôle de gérante de club sans état d’âme, calculatrice, dangereuse. Notons également une prestation assez jouissive du charismatique Jeong Man-Sik (Hunt, Escape From Mogadishu) qui semble prendre énormément de plaisir à jouer les enfoirés et à la base de moments bien fendards. L’humour est d’ailleurs ici très noir, avec bon nombre de meurtres qui font sourire dans la façon dont ils arrivent, et les répliques des personnages qui fusent derrière. Sur le plan technique, c’est une réussite totale, avec une photographie de nuit à base de néons qui donne à chaque séquence une atmosphère miteuse et peu recommandable, à l’instar des personnages. Le travail du directeur photo Kim Tae-Sung est millimétré, comme souvent dans le cinéma coréen et le film en jette, visuellement parlant. Si ce premier film de Kim Young-Hoon avait été mieux équilibré, on aurait pu avoir droit à quelque chose de grand.
S’inspirant du cinéma de Tarantino et des Frères Coen, Lucky Strike est une bobine des plus sympathiques, par moments jouissive, magistralement mise en scène, malheureusement entachée par une première partie qui pourra paraitre laborieuse.
Critique originale avec images et anecdotes : https://www.darksidereviews.com/film-lucky-strike-de-kim-young-hoon-2020/