2001 avec l'écriture et la profondeur d'Expandables

Le concept de Lucy m'intriguait beaucoup, à la base. Construire sa fiction sur une légende urbaine de la science, aussi étrange soit-elle, pourquoi pas ? Cela aurait pu être intéressant sur bien des aspects : scientifiquement, tout d'abord, sans attendre une exposition cartésienne du problème on aurait pu s'attendre à une approche originale et décalée mais pourquoi pas pertinente dans son décalage. Et puis en terme de divertissement ensuite, car c'est ce qu'il avait principalement l'air d'être. Bon, quand le film est sorti et que les critiques se sont mis à pleuvoir sur SC, j'ai refreiné un peu ma curiosité. Mais bon des fois sur SC ça aime bien cracher sur les films grand public, sur les films conceptuels (sauf si c'est Kubrick) et sur les films de Besson. Lucy cumulant les trois, j'ai voulu lui laisser sa chance. Je ne m'attendais pas à un truc extraordinaire, mais au moins à un divertissement sympa. Triste espoir.

Le film commence, et Besson enfonce déjà des portes ouvertes sans aucune subtilité. « La vie nous a été donnée il y a des millions d'années... Et qu'en avons-nous fait ? »
On passe alors de superbes paysages à une ville sur-industrialisée très moche, polluée et où les humains fourmillent un peu partout en détruisant tout. Ok Besson. Je suis le premier à être entièrement d'accord avec l'idée, in fact je pense qu'on ne peut pas être plus d'accord avec l'idée que moi. Mais là, c'est quoi cette phrase d'accroche accusatrice à deux sous sans profondeur ni intérêt ? Si vous voulez avoir une vraie idée de l'influence néfaste de l'homme sur Terre, un très bon documentaire est passé sur Arte cette semaine sur le sujet, il est dispo en replay et c'est infiniment plus intéressant.

Et plusieurs fois, Besson affirmera sa subtilité engagée avec des phrases dont le summum reste la réplique de ce pauvre Freeman : « les hommes sont tellement attirés par le pouvoir et par l'argent, ils n'ont que faire du savoir ». J'ai vraiment eu de la peine pour lui, sur ce coup. Car encore une fois oui, oui, oui. Mais comme ça, en plein milieu d'une scène où cela n'a rien à y faire, juste pour placer sa petite conscience atrophiée ? Non, juste non.

Ensuite le côté scientifique. Si le personnage de Freeman s'en sort bien avec ce qu'on lui donne (hors phrase sus-citée), ses conférences au début sont assez intéressantes car elles permettent d'aborder la légende urbaine scientifique d'un point de vue philosophique : « l'homme accorde-t-il plus d'importance au fait d'avoir qu'au fait d'être ? »
Ça j'aime, c'est hyper intéressant comme problématique et il y a de quoi débattre, alors même que la philo c'est pourtant pas spécialement mon truc à la base. Dommage qu'in fine cette phrase balancée comme ça ne soit... qu'une phrase balancée comme ça, oubliée l'instant d'après et jamais exploitée dans le long-métrage.

Mais le pire, c'est que Besson essaye de se donner un air de professeur, mais qu'il n'apporte absolument aucun point de vue scientifique à son film, et c'est selon moi une des pires déceptions du script : partons du principe qu'une fois à 100% de ses capacités mentales, Lucy devient omnisciente. Elle voit alors tout, ressent tout, est partout et nulle part à la fois. Pour illustrer cela, Besson utilise un retour en arrière dans le temps en s'arrêtant sur différentes époques clefs. Arrivé à 99%, on assiste au Big Bang ou assimilé, puis plus rien. On ne verra pas les 100%. Voilà, Besson a révisé sa SVT comme j'ai pu le lire dans une autre critique, mais aussi son histoire. Et c'est tout. Ne vous attendez pas à voir une ébauche de réflexion ou même d'hypothèse sur cette omniscience, il n'y a rien. Besson n'est certes pas scientifique, mais il n'est pour le coup pas plus un créateur. Il ne crée rien, il récite. Il récite son script. Et pour le coup, on arrive au dernier problème majeur de l'œuvre.

Si la réalisation est parait-il plagiée à droite à gauche (j'ai moi-même pensé à Malick sans avoir jamais vu un de ses films, et j'ai remarqué Samsara sans l'avoir encore vu non plus), d'autres en ont parlé mieux que moi et sont bien plus calés sur le sujet.
En revanche, tout le monde semble tellement aberrés par la réalisation ou le viol scientifique que personne ou presque ne parle de l'écriture, qui se trouve être quand même le plus gros délire du film : dans tout le côté "normal" de l'histoire, absolument RIEN n'est crédible. Le Chinois veut violer Scarlett, elle se rebelle donc il la frappe mais la viole pas ; Scarlett tue un mec avec un flingue dans l'hôpital mais personne ne se ramène, l'ordi portable tout pourri qui effectue des milliards de calculs par seconde, Scarlett qui tue tout le monde chez le méchant sauf le méchant (car faut qu'il puisse venir se venger après tu vois), les flics Français qui ont affaire à une meuf surpuissante et à un réseau de drogue de barbare mais qui décident de garder le tout dans le commissariat du coin et d'aller se fighter à la Sorbonne en mode GTA car c'est des true warriors, pas besoin de renfort ni du GIGN, Scarlett qui dans la seconde moitié ne tue que des innocents et laisse partir les bad guys, mais surtout, surtout le must c'est quand même CE PUTAIN DE BAZOOKA QUI DROP AU MILIEU DE L'UNIVERSITE PARISIENNE, nan mais whaaaaaaaaat. Un délire, y'a pas d'autre mot.

Au final, Lucy se donne des airs intello pseudo-scientifiques sans jamais en avoir les épaules ni même le vouloir réellement. Fun fact, j'ai écrit mon titre de critique (car c'est plus ou moins ce que le film m'inspirait) avant de lire dans une autre critique que Besson citait réellement 2001 dans ses inspirations. Et là... c'est assez triste. Que j'y pense en rigolant okay, mais que le réal du film le cite au premier degré, c'est assez terrifiant. Surtout que bon, 2001 et moi c'est loin d'être une histoire d'amour, mais si y'a un truc qu'on ne peut pas enlever au film c'est toute sa profondeur et sa recherche symbolique, et qu'on prenne ça pour du génie ou pour de la branlette, c'est là et c'est indéniable. Il y a une volonté, une passion, on brasse quelque chose. Lucy brasse du vide, a un script d'une profondeur négative et une portée scientifique inférieure à Wikipedia. Un ratage complet doublé d'une prétention tragique.

Le pire dans tout cela, c'est que c'était mon premier Besson. Et pour le coup, j'ai quand même saigné un peu...
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le 30 août 2014

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