Il y a les stars, et il y a les acteurs comme Paul Newman, dont la présence iconique et les yeux bleus perçants transcendent même la meilleure matière première. Si la démarche chaloupée de Luke la main froide vacille de temps en temps, le magnétisme de Newman lui fournit le poids que son scénario un peu simpliste ne suffit pas à lui donner. Photographié dans un superbe scope par Conrad Hall, le film de Stuart Rosenberg balance non sans ambition entre un argument simple, antiautoritaire, et une histoire virile à dormir debout, pour finir comme une allégorie christique quelque peu inattendue et incomplète.
Qu'il se retrouve maladroitement quelque part entre les deux ne surprendra personne, mais il est profondément attachant. Newman joue le rôle d'un type ordinaire mais récalcitrant (sans qu'on sache trop pourquoi), Lucas "Cool Hand" Jackson, qui se retrouve en prison pour avoir démoli quelques parcmètres dans un accès de révolte. Dès qu'il est incarcéré, il se heurte, comme on pouvait s'y attendre, à un système de règles encore plus borné. Comme il ne se résout pas à la docilité, on lui inflige des punitions de plus en plus sévères. Plein de répliques mémorables et de scènes légendaires, Luke la main froide existe à la fois en tant qu'objet et en tant que regard : il est plus léger qu'il n'y paraît, mais il est porteur de beaucoup de signification culturelle (et contre-culturelle).
Une grande partie du charme du film vient de son armée, haute en couleurs, d'acteurs de second plan, dans laquelle se trouve un contingent de visages connus (dont les jeunes Dennis Hopper et Harry Dean Stanton), plus George Kennedy dans le rôle du rival de Newman devenu son bras droit. Il remporta un Oscar pour son portrait de Dragline, le dur à cuire finalement naïf. Mais c'est le jeu sereinement charismatique de Paul Newman qui occupe le centre du film. Il est ici au sommet de son art, et ce rôle le propulsera d'ailleurs à l'apogée de la gloire. Comparé au jeu hystérique de Jack Nicholson dans Vol au-dessus d'un nid de coucous, Newman est tout subtilités, sourires entendus, rayonnante confiance en soi. Avare en soliloques, le Luke de Newman n'a pas besoin de télégraphier le moindre des ses gestes, ni même de clarifier ses motivations. Il donne l'impression d'avoir vu dans la prison une invitation à entrer en conflit avec le système, simplement pour savoir s'il pouvait le vaincre. En fait, ce n'est qu'un peu avant la fin du film que les dégâts que l'emprisonnement aura provoqués sur Luke le libre penseur deviennent évidents. Contrairement à ses codétenus, il rejette avec la dernière énergie le conflit institutionnel qui découle de l'enfermement, et son refus absolu de coopérer mènera à la tragédie. Si Luke la main froide se demande jusqu'où un homme peut cogner sur le système, il nous dit aussi ce qui se passe quand le système rend les coups.