Les atrocités auxquelles sont soumis les animaux dans les vidéos de l’association L214, le partage en réseau de scènes de violences policières, les interrogations sur les modalités représentatives des corps (notamment féminins), le male gaze et la culture du viol dans laquelle elles s’inscrivent… La violence faite aux corps est aujourd’hui massivement disséquée, interrogée, voire accusée, si bien que nul ne peut aujourd’hui prétendre faire l’impasse sur ces questions, pas même Gaspar Noé, éternelle canaille du cinéma français qui a fait de l’ultraviolence (tant physique que visuelle) le ciment même de son œuvre.
Reprenant le même modus operandi que pour Climax en plaçant une troupe de personnages dans un espace en huis-clôt propice à l’expression du chaos, de la démence et des pulsions enfouies et destructrices, Noé rappelle que créer et consommer du cinéma, c’est faire un pacte avec le diable et avancer à la lisière des ténèbres. Ici, pas de sangria : c’est l’épuisement de l’équipe et l’outrance hypnotique des artifices du plateau de tournage (où Béatrice Dalle incarne la réalisatrice et Charlotte Gainsbourg l’actrice principale) qui poussent une partie de l’équipe, galvanisée par la folie de la création qui se met en marche, à organiser un bûcher quasi littéral où l’actrice se révèle comme figure sacrificielle et où l’image, à l’instar de certaines œuvres de Carl Theodor Dreyer (La Passion de Jeanne d’Arc), Abdellatif Kechiche (Mektoub my Love : Intermezzo, ou encore Lars Von Trier (Melancholia, Antichrist, …), vient en épuiser les contours et transformer la flamme qui brûla nombre de femmes en celle qui les fera resplendir à l’écran. « Voilà, c’est beau ! Charlotte, tu brûles ! », hurle d’ailleurs le personnage du chef-opérateur. Inversion du stigmate et retour de flamme.
Et, fait notable et plutôt inattendu : Noé est l’un des rares à ne pas avoir peur de questionner le caractère éminemment problématique de cette démarche, répondant sans doute aux critiques à l’encontre de ses précédentes œuvres.
S’y révèle toute la beauté paradoxale et masochiste du Septième Art, qui soumet les corps de ses acteurs autant que de ses spectateurs, fait s’accoupler Eros et Thanatos devant l’objectif incandescent de la caméra (non sans rappeler le moyen-métrage Ultra-Pulpe de Bertrand Mandico), se confondre artifice et réalité, souffrance et extase ou encore douleur et plaisir visuel dans un spectaculaire feu (d’artifice) stroboscopique que l’on nous réserve pour la scène apothéotique.
Avec Lux Aeterna, sorte de film somme, Gaspar Noé se change ainsi en théoricien du cinéma (en nous ramenant aux origines du « Cinéma des attractions » et citant tour à tour Godard, Dreyer, Tony Conrad, Paul Sharits, La Ricotta de Pasolini ou… lui-même) et convoque avec humour et autocritique – non sans quelques décevantes facilités – ce qui fait l’essence de son cinéma. Une invitation à entrer dans la matière même de l’image, cette fameuse lumière éternelle déjà approchée dans Enter the Void, et à découvrir la fameuse recette du Sublime cinématographique, qui sera utile à toutes les bonnes âmes qui s’interrogeaient peut-être sur l’origine, les ingrédients et les étapes de préparation de ce que l’on sert à nos mirettes.
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